“X”, comme….
Ama-L, qui sous des dehors irréprochables n’a jamais eu pour ambition de passer pour la nonne de service, m’a charrié pour n’avoir toujours pas placé de “x” dans mon abécédaire.
Mon sang n’a fait qu’un tour, et bien que j’ai songé à l’accuser de turpitude pour dévier la conversation, je dus me rendre à l’évidence. Il est temps de franchir l’obstacle.
Ne restait plus qu’à trouver un “x”.
C’est logiquement et sans m’éloigner beaucoup de la braguette que je me penche sur l’X. L’X, tout court, surnom de… l’ecstasy.
Les milieux de la nuit, du show biz, du spectacle, regorgent d’histoires de drogue, et l’histoire de la musique est aussi une litanie d’overdoses. Ce qui rend l’ecstasy particulière, c’est d’être aussi fortement associée à la musique, et une musique particulière, et une manière particulière d’aborder cette musique. La techno est née de manière confidentielle, mais lorsqu’elle a explosé, l’ecstasy a suivi.
Quiconque est allé à une rave le sait, l’X y circulait facilement, accompagnée de l’inévitable bouteille d’eau. Car cette drogue déshydrate encore plus que l’alcool, la danse accentuant encore la perte hydrique. La popularité de cette drogue tient en partie à ce qu’elle fait disparaître toute sensation de fatigue. D’où les malaises des ravers peu vigilants, qui s’effondrent faute d’avoir bu et mangé au cours de la nuit, sachant que la “nuit” pouvait atteindre 10 ou… 20 heures d’afilée.
Comme d’autres drogues, l’X a aussi pour effet de réduire les inhibitions, ce qui lui a valu parfois le surnom de drogue de l’amour (aucun rapport avec la drogue du viol, heureusement).
Danse sans fin et danger, donc, au point que Médecins du monde a consacré de nombreux efforts à la réduction des risques et l’assistance médicale sur les raves. Pour qu’une ONG de cette taille forme des équipes spéciales, il fallait que le phénomène ait pris une ampleur considérable.
C’est le cas. A partir du milieu des années 1980, la techno et l’ecstasy connaissent une décennie incroyable, raz-de-marée qui impose au passage les clubs comme des haus-lieux de création et les DJ comme des personnages musicaux à part entière.
Parmi eux un certain nombre de français, dont Manu le malin ou le plus célèbre de tous, Laurent Garnier. Celui qui reste associé au nom du Rex Club s’est d’abord taillé une réputation dans le saint des saints : l’Hacienda.
Tony Wilson, fondateur du mythique label Factory records de Manchester (Joy division, Durutti Column, Happy mondays…), créa aussi un lieu de nuit, l’Hacienda, qui engloutissait les bénéfices de son label.
Le film de Michael Winterbottom, 24 hour party people, retrace succinctement l’histoire du label et du club. Mais comme son titre l’indique, c’est surtout aux Happy mondays qu’il s’intéresse. Drogués affichés, expérimentateurs musicaux doués, les Happy mondays ont dopé la vie nocturne mancunienne, à tous les sens du mot, contribuant à lui donné le surnom moyennement flateur de MaDchester.
Mais c’est bien la techno qui a donné à l’Hacienda ses heures de gloire, en faisant du même coup le plus lieu de vente d’ecstasy au monde (ou peu s’en faut).
Le livre de Laurent Garnier raconte bien cette histoire, la fascination exercée à la fois par cette musique, par des lieux phares comme l’Hacienda, et par la drogue. Il fut témoin et acteur du fameux “summer of love”, qui 30 ans après la vague hippie procura un éphémère espoir fraternel. Au signe pacifiste en “Y” inversé répondit un logo plus basique, sourire ravi surmonté de 2 pupilles, en noir sur fond jaune. “Happy face”, que l’on retrouvait, cynisme ou marketting (la différence?), gravée sur les pillules d’ecsta. L’idéalisme hédoniste fut de courte durée, et comme tout mouvement accordant une place centrale à la drogue, celui-ci rapporta plus aux dealers qu’à la musique.
Le “love” se transforma vite en industrie pharmaceutique, tandis que la moindre rave tournait illico au feuilleton policier. Ligne de téléphone anonyme, rendez-vous donné au dernier moment, parcours par étapes pour repérer puis semer les policiers infiltrés… un vrai sketch. En dehors de la drogue, les rave parties tendirent à se confondre avec un défi délibéré aux forces de police. Toutes les conditions se trouvant réunies pour accroître la répression.
Car quiconque a dansé jusqu’au petit matin dans la mousse d’un sous-bois (plaisir que je vous souhaite ) sait que le propriétaire du terrain est rarement au courant, et encore moins souvent d’accord.
Paradoxalement ou non, les tentatives d’institutionnaliser des raves en bonne et due règle se heurtèrent rapidement à des tracasseries administratives, plus ou moins justifiées par un discours anti-drogue (qui parfois ne faisait que dissimuler une peur anti-jeune bien plus irrationnelle). Ou comment un mouvement musical construit sur une mythologie speedée se trouve rattrapée par son histoire. Les déménagements successifs du Teknival illustrent cette difficulté.
Alors que les raves, rendues de plus en plus compliquées à monter, s’essouflaient sous leur forme originelle et ne survivaient que de manière résiduelle et plus underground que jamais, la techno perdait du terrain, musicalement. Sans disparaitre, en témoigne le regain récent de la tektonik.
Mais le mal était fait, et des artistes comme Daft punk investirent les clubs du monde entier à la surprise générale, signant la fin du modèle rave. Ibiza elle-même a fini par devenir une destination parmi d’autres. Et avec la baisse de la techno de la grande époque, de nouveaux genres électroniques se développèrent, jusqu’à faire leur entrée aux Victoires de la musique et au ministère de la culture sous le label étrange de “musiques nouvelles”.
Privée des lieux éloignés de la police et permettant de danser 24 heures d’afilée, la techno perdit sa légende. La répression fit le reste, et l’X cessa d’être la drogue hype.
Aujourd’hui Paris ne parle que de cocaïne et de son prix dérisoire. Une drogue chasse l’autre, et Keith Richards aura toujours mieux à sniffer que les cendres de son padre.
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