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What’s going on, Marvin Gaye?

par arbobo | imprimer | 26juin 2007

L’an dernier j’ai chroniqué un livre qui suivait non pas la vie de Billie Holliday, mais le lien si intime qu’elle entretenait avec une chanson puissante et parmi les plus influentes de l’histoire du jazz, Strange fruit.

Je n’ai rien contre les biographies (bien qu’elles soient rarement bonnes), mais l’impact d’un morceau, d’un disque, sur des millions de gens, voilà qui me parait au moins aussi intéressant.

What’s going on parait en 1971. En 1973 Let’s get it on lui fait figure de suite ou d’épilogue. Mais c’est What’s going on qui a marqué les esprits.
Ce disque est une surprise et un moment important. Une surprise pour tout le monde sauf Marvin Gaye lui-même, qui n’a jamais été vraiment à l’aise dans le système Motown. Label organisé comme une usine par son créateur omnipotent, Berry Gordy (qui était aussi son beau-frère, pour compliquer le tout), Motown se voulait avant tout une machine à tubes pas prise de tête. Mais la fin des années 60 est prise de tête, pas de doute, le flower power, la marijuana fumée à la coule à Woodstock ou Berkeley sont des réactions à un contexte dur, violent, désespéré.

J’aurai l’occasion d’y revenir plus longuement, mais ce contexte socio-politique a beaucoup marqué Marvin Gaye. Blagueur et hospitalier, Gaye n’était pas pour autant un type heureux ni tranquille. Alors qu’il était déjà l’un des plus gros vendeurs du label, il a vu sa carrière décoller pour de bon grâce à ses duos avec Tammi Terrell, son amie et complice dont la voix faisait des merveilles avec la sienne. Mais cette période faste et heureuse ne dura que de 1967 à 1968. Car Tammi avait pris tellement de gnons dans la tête par ses compagnons que son crâne ne lui laissa pas beaucoup de répit, et 8 opérations du cerveau ne purent la sauver. Cette fin cruelle et cette mort précoce plongèrent Marvin Gaye dans une détresse proche de la dépression.

Il n’était donc déjà pas au mieux lorsque les émeutes raciales (y compris à Detroit, la ville de Motown), ajoutée à l’assassinat de Martin Luther King, finirent par le toucher intimement.
Pourtant il commença par refuser le magnifique morceau qu’Obie Benson (des Four tops) lui apporta sur un plateau. Il voulait produire ce qui allait devenir What’s going on, mais le faire interpréter par le groupe vocal du label, the Originals. Marvin Gaye avait pourtant la ferme intention de devenir producteur, et de produire lui-même ses disques. Mais il avait ce travers de toujours se faire désirer.

Fils de pasteur, un homme abject qui le battait enfant et l’assassina d’un coup de feu le 1er avril 1984, Marvin Gaye a toujours ressenti une grande spiritualité. Et un souci sincère des enfants, à commencer par son propre fils. Il fallut du temps pour que tout se mette en place, et qu’il fasse le lien entre son souci de fraternité, sa sensibilité écologique, le titre qu’on lui proposait et qui exprimait l’incompréhension devant la guerre urbaine des ghettos, trouve son expression musicale en lui. Le titre qui résume son cheminement est sur la première face : save the children. Au moins, faisons en sorte de laisser à nos enfants un monde vivable, tel est la ligne désenchantée qui parcourt l’album.

What’s going on ne ressemble à rien de ce que Marvin Gaye avait déjà enregistré, y compris le sublime I heard it through the grapevine. Et il tranchait avec le reste du catalogue du label et ses disques au son stéréotypé si apprécié des Blancs. Marvin Gaye y développa des trésors d’invention, dont la moindre nuance est retracée dans ces pages. Marvin Gaye avait fait de ce disque un défi personnel, et s’il supervisa la moindre session, on a rarement vu un enregistrement mettre autant de monde à contribution. Pourtant jamais le son, si riche et complexe, n’est écrasant, et grâce à un travail de studio acharné, les titres sont liés les uns aux autres, enchainés avec une fluidité stupéfiante.

Ben Edmonds a recueilli quantité d’anecdotes et de témoignages, faisant toujours la part de la légende et de la réalité. Surtout, il nous fait entrer à la fois dans le cheminement de Marvin Gaye et dans la fabrication complexe de ce disque monument.
Ce n’est pas la moindre qualité de son livre, on y suit les péripéties de ce disque et de son enregistrement comme un roman à suspense.

Mais ce livre n’est pas américain pour rien, non plus. Voilà bien un pays qui sait créer et valoriser des légendes. Et Ben Edmonds nous fait sentir cette vibration, cette émotion intense que provoqua ce disque, dans la vie de Marvin Gaye et dans toute l’Amérique.

En toute logique, ce billet est censé vous pousser à vous offrir l’album What’s going on, qui mérite vraiment d’être écouté de bout en bout. Mais si vous aimez ce disque, ce petit livre de poche (10/18) fera aussi une excellente lecture de vacances, n’en doutez pas.



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