Vieux tubes et jeunes marmites
Elles sont jeunes, anglaises, et font un mélange de Rythm’n'blues et de soul. Ils sont vieux, américains, et font un mélange de soul et de gospel.
Je ne peux pas mieux vous résumer la situation.
prière de lire cet article comme le complément nécessaire de celui-là, et inversement :-)
Comment la soul a-t-elle regagné ses galons, je n’en sais rien. Son “parrain” James Brown est mort l’an dernier, mais le genre n’est jamais aussi bien porté en Europe. Jusqu’à une curiosité, Nicole Willis, dont j’ai déjà parlé ici, soul sister américaine installée en… Norvège !
La jeune garde a pour étendard une Amy Winehouse qu’on ne présente plus. Voix extraordinaire, fille cassée dans un corps qu’elle meurtrit, et quelques morceaux vraiment excellents et admirablement produits.
Dans son sillage s’engouffrent avec succès Adèle et Duffy. De bons morceaux, quoique TROP produits. Les meilleurs moments du 19 d’Adele sont les plus sobres, les plus dépouillés et paradoxalement les plus soul aussi, quoique le genre affecte souvent les orchestrations fournies. Duffy, moins soul, plus entre pop et rythm’n'blues, s’en sort avec plus d’aisance.
Entre deux âges, Sharon Jones. Née au mauvais moment, elle est jeune en plein creux de la vague, la soul ne fait plus recette qu’auprès de quelques nostalgiques et de funkateers collectionneurs. Peut-être est-ce le regain de cette musique, porté par des dizaines de compilations et de rééditions, qui lui remet le pied à l’étrier.
Tout un symbole, Sharon Jones. Ses albums, chacun meilleur que le précédent, sont publiés sur un label de Brooklyn, Daptone. Tous sortent dans les années 2000, et son 100 days 100 nights est un bijou. Mais un bijou… rétro. Car la patte de Daptone c’est un son à l’ancienne, très rétro. Plus encore que chez Amy Winehouse (c’est dire). Pas cool d’arriver au mauvais moment, car Sharon Jones a tout, musicalement, pour casser la barraque et vous faire donner vos rendez-vous de boulot sur la piste de la Loco.
Dur dur, la musique moderne. Au moins dans le “classique” une période dure au moins 1 siècle, quand pour la soul l’âge d’or s’étend de 1967 à 1975. Comment ne pas verser dans le rétro, alors?
Les anciens, ceux qui ont connu l’âge d’or en question, ont répondu à cette question de trois manières. La première est le jeunisme, qui a frappé Roy Ayers pour ses disques les plus récents dans lequel le mélange avec les rapeurs n’est pas toujours convainquant.
La deuxième est le grand bond en arrière. Tant qu’à évoquer le passé, autant évoquer sa propre enfance et les musiques qui l’ont bercée, plutôt que le début de sa carrière. Un effet Buena vista social club, si l’on veut.
Ces dernières années on a vu quelques chanteurs importants tenter l’exercice. Aaron Neville, qui sans ses frères a publié des titres magnifiques quand j’étais dans les langes. en 2006 il publie Bring it on home (the soul classics), titre en double référence à une chanson et au retour au bercail.
Le disque n’est pas plus mauvais qu’un autre, les reprises sont ok, mais ça manque d’engagement, un peu mou il donne surtout envie d’écouter les originaux. Moins intéressant, le Before me de Gladis Knight, ancienne diva soul-disco, à la production FM destinée à abolir toute émotion et toute sensibilité. Dans les deux cas, des titres tirés du répertoire blues et jazz des années 30 aux années 50, pricipalement.
Et puis il y a le petit miracle. Mavis Staples, qui chanta du rythm’n'blues en famille puis de la soul en solo, reste digne de son passé. Enchanteresse comme toujours. Voix souple et rapeuse, un délice. We’ll never turn back, nous ne tournerons jamais le dos. Ni au passé, ni à ses luttes. Publié en 2006 chez Anti, ce disque fait rimer classe et classicisme. Avec Ry Cooder aux commandes, on pouvait s’attendre à un bijou. Dégustez son On my way, son blues teinté de gospel et de soul, son voyage dans le passé lui réussit. Ses reprises évoquent les combats contre la ségrégation, racontent le sud, le Mississippi surtout, dont l’histoire fut écrite dans le sang.
Il existe enfin une troisième option. La continuité. Entre de longues périodes consacrées à l’église dont il est le pasteur, Al Green enregistre parfois un disque, comme au bon vieux temps. Il vient juste de sortir Lay it down. Et étonnamment, comme je l’explique plus en détail là, il réussit à faire un disque de facture très classique dans des conditions très modernistes.
On était pourtant prévenus : les diamants sont éternels.
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