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Une seule vie

(cet article inaugure une série consacrée à Cat Power)

J’avais annoncé que cette chanteuse chère à mon coeur méritait que je lui consacre au moins deux billets. Alors je ne parlerai par de ses disques aujourd’hui. Mais j’en reparlerai avant et après son concert de novembre.

Elle est seule, mais son nom d’artiste est un nom de groupe. Comme The The pour Matt Johnson, ou Divine Comedy pour Neil Hannon. Et elle atteint au moins le niveau de ces artistes qui ont creusé leur place au panthéon du rock indépendant. Elle, c’est évidemment Chan Marshall, qui chante sous le nom de Cat Power, et dont je vous rebat les oreilles depuis l’ouverture de ce blog.

J’ai repoussé l’écriture de ce billet, pas tout à fait intimidé mais presque, désireux de ne pas me planter. Et puis, une fois acquise la certitude que me hisser à son niveau n’était pas un prodige à ma portée, plus rien ne m’empêchait de clamer benoitement mon enthousiasme.

Je peux comprendre qu’on ne s’enflamme pas plus que ça pour les disques de Cat Power, qu’on les trouve un peu arides, un peu trop tristes, ou ce qu’on voudra. Mais il y a une chose que j’aurais plus de mal à comprendre, c’est qu’on ne la trouve pas attachante, touchante. Vous me direz, ça ne suffit pas à faire une grande artiste. Mais lorsqu’il s’agit effectivement d’une grande artiste, ça contribue à lui donner un public fidèle et affectueux, sensible à son aura.

Cette fille pas comme les autres sait qu’il ne faut pas confondre respect et révérence. Il y a 2-3 an, elle est passée dans Traffic : musique, émission de musique de Guillaume Durand. Le plateau était magnifique, s’y succédaient Rickie Lee Jones, Ben Harper, Buddy Guy, Cat Power, et Laurent Voulzy qui avait fort à faire pour soutenir la concurrence. Guillaume Durand avait son idée en tête, et après les avoir interviewé, il propose à Buddy Guy de jouer un de ses titres, et dans la foulée à Ben Harper de l’accompagner en duo. Refus, net, catégorique, de Ben Harper. Trop de respect. On ne se mesure pas à un maître, donc non, Harper décline l’invitation. Mais pas Cat Power, vers qui Durand se tourne à l’improviste de peur que son idée tombe à l’eau définitivement. Elle, qui cache constamment son regard délicieux derrière sa frange, n’hésite pas une seconde. Entre gens de blues, la musique se partage, l’idée de faire des chichis ne lui traverse pas l’esprit et le duo se lance. Après la sortie de Ben Harper, il aurait pu être difficile de prendre la guitare avec le vieux maître sans paraître prétentieuse. Mais Chan Marshall est inapte à la prétention, et le naturel avec lequel elle a entamé le duo empêchait tout reproche.
J’ai eu le bonheur de retrouver ce moment sur youtube. Dommage qu’on n’aie pas aussi la minute qui précède, la scène dans son ensemble en dit long sur elle. La synchro de la video est pourrie, je vous préviens. Apparemment c’est une habituée de la télé française (ici sur un single de son 3e album, elle y sonne presque comme Nirvana).

Elle a accordé une belle interview à la sortie de son dernier album, un moment très sympa disponible sur le site des Inrocks. Cette jeune femme fragile, à vif, qui écrit des textes si durs, a quitté la maison à 15 ans et tracé sa route. Elle a croisé celle de Sonic youth à New York, raison de ne pas regretter son passage par cette ville qu’elle n’aime pas. Elle la rurale, qui a grandi entre Atlanta et la Caroline, qui cherche ses mots avec la peur de mal les choisir. J’aimerais que vous regardiez cette interview-vidéo, on y voit une femme qui ne sait parler qu’à coeur ouvert. Tant de gens sonnent creux en vous parlant d’humanité. Bon sang, je savais que je devais pas en parler sur ce blog, je deviens sirupeux, collégien, bidon. Mais allez-y, regardez cette itw, je ne pense pas que vous soyiez déçus.
Côté disques, je me contenterai, pour celles et ceux qui voudraient la découvrir, de vous conseiller de débuter par son avant-dernier album, You are free, à la fois excellent et très représentatif de sa musique.

Etonnante Cat Power. Comme tout le monde, elle fait des clips pour certains de ses titres. Mais elle s’en fout un peu (d’ailleurs son propre label renvoie vers ses live télé sur… youtube!). Ou plutôt elle préfère s’y prendre autrement. En 2005 elle a sorti un objet étrange. Pour l’avoir essayé sur mon meilleur ami, je déconseille de s’initier à Cat Power par ce disque. Speaking for trees est un coffret. Le CD, très court, est une session pas très intéressante. Elle sert plus de bonus au DVD. Et pas n’importe quel DVD. Cat Power est allée chez des proches qui ont une maison “upstate New York” (on n’en saura pas plus). Le jardin est grand, et Mark Borthwick, cinéaste, fait partie du voyage. Il a posé sa caméra sur pied, et Chan tire le fil de sa guitare, entre dans le champ, essuie ses pieds nus sur son jean, et commence à poser des accords, là, au milieu des arbres, en son direct, avec le bruit des oiseaux et des feuilles, le son de sa guitare, et parfois en sourdine son chant, loin, très loin du micro. Elle entame un titre, s’interrompt, repart sur Time is on my side ou Knocking on heaven’s door, enchaine sur un de ses titres, qu’elle abrège quitte à y revenir plus tard joué autrement. Elle reste là, simple, paisible, imposant à la caméra sa présence digne des grands comédiens, ondulant parfois sur un titre, écartant une mèche, presque rien… Les prises se succèdent, on voit le soleil monter puis décliner, et Chan fidèle à elle-même, chez elle, là, jouant pour les arbres, speaking for trees. Hors du temps et confondant de beauté.
Je déconseille ce film à qui n’a pas déjà accroché aux disques de Cat Power. Mais à ceux-là, en tout cas les plus réceptifs à sa musique, je prédis un moment très doux, un brin envoutant, un moment de partage très chaleureux.

Le pouvoir du chat, avoir neuf vies. Mais Chan Marshall, elle, est humaine, si humaine… elle n’a qu’une seule vie. Prenons-en soin.