Tout rond tout con (ou : le mp3 a-t-il vraiment tué le CD?)
(les épisodes 1 et 2)
Car on ne peut véritablement se faire une idée sur les supports numériques et le mp3, sans s’interroger aussi sur l’avenir du CD. C’est dans toute la presse, le CD a 25 ans mais est plus menacé que jamais.
C’est extrêmement vrai, mais c’est aussi extrêmement douteux à court terme.
Premièrement à cause du support physique lui-même, qui offre de vrais avantages. Ensuite, parce que le progrès technologique doit être lu à la lueur de l’usage : comment écoute-t-on la musique aujourd’hui? Et quelle musique, ou plutôt devrais-je dire quelle qualité sonore.
Plusieurs choses plaident pour la survie du CD à moyen terme.
D’abord, contrairement à feu la cassette audio, le CD est un support adapté aux lecteurs modernes. C’est le support de base des ordinateurs, dont tous les logiciels sont avant tout fournis sur cd-rom ou DVD. Car les inventeurs du DVD ont tenu compte du passé, et tout lecteur DVD (qu’il soit sur ordinateur ou lecteur externe) lit également les CD.
Le CD serait menacé, alors que les lecteurs sont enfin devenus la norme dans les voitures? Certains modèles ont des prises permettant de brancher un lecteur mp3, mais ils sont encore rares. Et pour cause, puisque le CD est universel, tandis que pour les lecteurs mp3 c’est le merdier des formats et de la connectique. En dehors du disque vinyl, le CD est le seul vrai support musical universel, statut précieux et dont le 8 track ou le SACD ne bénéficieront jamais. Détail, mais ce détail des autoradio va prolonger encore un peu la vie des CD, au moins celle des cd-mp3.
Parmi les autres avantages du CD, n’oublions pas que sa durée colle avec celle d’un album, d’un best-of, voire de pas mal de concerts. Vous me direz, le concept d’album est lui-même mis en danger ou du moins assoupli depuis le développement des supports numériques, comme j’en discutais avec vous l’an dernier. Mais on n’en est pas encore là. Car l’album correspond toujours à une manière de faire de la musique, et une manière de l’écouter. Et puis sans album, plus de pochette, et plus de notes de pochette. En téléchargeant un titre on est déjà bien chanceux si on a l’image du disque, mais pour le contenu de la pochette on peut toujours courir (au passage je trouve ça odieux, que les éditeurs ne se donnent pas la peine d’inclure un pdf avec leurs fichiers payants). Le support physique CD est à la fois individuel et indivisible (on peut n’écouter qu’un seul titre en boucle, mais les autres sont toujours sur le disque), ce qui est un avantage artistique mais parfois un défaut pour l’utilisateur (de l’intérêt des compil’ et playlists mp3).
Vous me direz, le cd peut être remplacé par des puces contenant un album, par exemple (des puces réutilisables, un peu comme si on achetait un “livre” de photos sur une puce d’appareil numérique, ce qui devrait arriver prochainement). La dématérialisation ne sera sans doute pas totale, de ce point de vue. Mais reste l’atout comparatif n°1 du CD : sa qualité sonore.
Menacé, le CD? D’accord, ok, mais… par quoi?
L’autre dimension majeure de ce débat, dimension rarement abordée car souvent occultée par les industriels et diffuseurs, c’est celle de la qualité du son, de sa reproduction.
Permettez que j’insiste. “Haute fidélité”, hi-fi. Dans les années 70 et 80, cette étiquette était prisée et soulignait l’attrait puissant d’une reproduction enfin fidèle de la musique. Aux amis venus dîner, on montrait fièrement sa nouvelle chaîne, ses nouvelles enceintes, et ce souci là se retrouvait jusque sur les disques eux-mêmes. Souvenez-vous des pochettes d’Art of noise utilisant ces enceintes fabuleuses de B&W (une série emphasis).
Après le walkman, on est passés au discman, on a donc gagné en qualité de son. Aujourd’hui on régresse avec les balladeurs mp3, la beauté d’un ipod remplaçant la qualité du son reproduit. Ce son, dans une logique hi-fi, est pourri. Je le sais, moi aussi j’ai un balladeur mp3, c’est sympa mais avec ma chaîne y’a pas photo.
Les offres sur le téléchargement de fichiers comprimés (mp3, asf, aac, wma…) n’apportent qu’une concurrence partielle au CD. Ces fichiers, 5 à 10 fois plus légers que leur équivalent CD, ne le sont qu’au prix d’un écrétage, des fréquences entières sont supprimées car peu ou pas audibles. Cette compression est variable, en moyenne 128 kbp/s contre 1400kbp/s pour un CD, mais peut aller de 64kbp à 256, 320 ou 480kbp. Les formats vendus en ligne vont de 128 à 192, et plus rarement 256 (mais vraiment rarement, et plus cher). Traduction : le son du mp3 est (nettement) moins bon.
Alors que de plus en plus de monde s’équipe en sono de qualité potable voire de quadriphonie ou 5.1 (5 enceintes en cercle plus un caisson de basse, pour un son englobant façon salle de ciné), la qualité du son pourrait bien devenir un enjeu majeur dans les années à venir. En tout cas je le souhaite !
Et les autorités seraient bien inspirées de ne pas oublier cette donnée là, dans leur obsession de la lutte contre les téléchargement pirate. Primo, le coût du piratage est encore très mal évalué (et généralement SURévalué). Secundo, le choix du président de la FNAC pour diriger la commission sur le piratage, montre que l’aspect économique prime sur tous les autres. J’aurais pu comprendre de la part d’une commission du ministère de l’économie, mais la ministre de la culture (aïe, gros mot) est mal venue de croire qu’elle est au service direct de Christine Lagarde. Franchement, on se fout clairement de la gueule des auditeurs. Je le répète encore : pour avoir des mp3 de qualité correcte (disons à partir de 320 kbp), il faut soit convertir ses propres disques, soit pirater. Historiquement, les copies pirates ont toujours été moins bonnes que les officielles payantes. Curieusement, voilà des années que c’est exactement l’inverse pour la musique en ligne et les utilisateurs s’en rendent compte. Malheureusement, ils sont les seuls. Dernier épisode, la traditionnelle annonce catastrophiste des résultats des ventes. comme d’habitude, la faute revient exclusivement aux utilisateurs (ben tiens), et les professionnels ont tout compris (sauf l’essentiel, mais ça, faut pas demander l’impossible). Je suis en pleine redite de mon billet précédent.
La moindre console de home studio respecte mieux le son que les 16 pistes coûteux d’il y a 20 ans.
Or en 1990 personne n’aurait parié sur le vinyl. Je ne dis pas que le CD connaîtra le même rebond spectaculaire, mais méfions nous de ces avis de décès qu’on publie avant l’heure ;-)