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Tôt ou tard on vient à Dick Annegarn

par arbobo | imprimer | 9nov 2008

Même si la presse étale cette semaine une publicité pour ces albums, je ne vais pas me priver du plaisir de vous parler de Dick Annegarn. Et de Mathieu Boogaerts.

La vie d’un label indépendant tient souvent à peu de choses, la catalogue est restreint et la moindre variation de succès ou d’infortune a des conséquences énormes. Sans quoi on reste une structure sans permanent, bénévole, comme il en existe tant et grâce auxquelles la musique indépendante continue à sortir des disques à faible rayon commercial.

Découvrez !


Tôt ou tard a le vent en poupe. Son créneau, la “chanson française de qualité”, témoigne une volonté de privilégier la qualité et non les ventes. Grâce à Vincent Delerm, Thomas Fersen, puis au succès inattendu et phénoménal de Yaël Naïm et David Donatien, en ce moment Tôt ou tard va bien. Tant mieux.
Au catalogue du label, on trouve notamment l’album de Sean Kuti que je vous ai vanté ici, ainsi que d’autres disques rarement mauvais, parfois excellents. Bien que la “chanson” ne soit pas mon créneau favori, je garde toujours un oeil sur ce label vaillant.

Le 3 novembre sont parus 3 disques d’un coup. Trois artistes qui ont appris à travailler ensemble à l’occasion, mais habitants d’univers plutôt éloignés. Je passe rapidement sur le disque de Vincent Delerm. Malgré la qualité indéniable de certaines compos et des arrangements, je reste foncièrement allergique au chanteur, à ses paroles, et plus encore au personnage. Mais il est en bonne compagnie et c’est ce qui compte.

L’avantage de cette sortie groupée, c’est qu’on a envie d’en parler. L’inconvénient, c’est qu’on peine à parler individuellement de chacun de ces disques. Il y a des années Mathieu Boogaerts avait fait un beau duo sur Rhapsode de Dick Annegarn. Sorts liés, déjà.
Avec I love you, Boogaerts met les deux pieds dans la marelle et saute vers la case paradis. C’est joueur, c’est enlevé, et pour beaucoup aimer le funk je trouve gonflé de s’y être frotté avec sa voix légère et posée bien haut. Son accent à couper au couteau rajoute du charme à l’entreprise et confirme qu’on peut faire les choses sérieusement sans se prendre au sérieux.

Joli coup, et il est probable qu’on entende du Boogaerts sur les dancefloor cette année. Encore que… certains morceaux s’y prêtent, mais l’ensemble est plus étrange et dérangeant que ça. Comme si une faille spatio-temporelle avait balancé Boogaerts en pleine explosion no-wave. On a parfois l’impression d’entendre ESG faisant des trucs pas catholiques avec le katerine de L’homme à trois mains (et moi qui essaie de rester poli…). Le résultat est à la fois léger et franchement dérangeant. On s’esclaffe de rire, souvent, ce qui ne fait rien pour amoindrir la bizarerie de l’écoute. Au contraire, on se dit que dans un coin de la pièce Terry Gilliam est probablement en train de filmer le tout avec son ingénuité malsaine.
I love you est très premier degré, c’est sa qualité. Il est au premier degré dans des registres totalement étrangers les uns aux autres, c’est son originalité. On ne sait pas trop si on doit aimer ce disque ou s’en méfier.
Prenez cette phrase pour un compliment :-)

Mais ce qui convainc de parler de Tôt ou tard, c’est aussi une tradition plus aride. On viendrait à ce label pour la seule raison qu’il héberge Dick Annegarn, on ne se tromperait pas.
Cette voix étrange qui s’échappe de cette belle barraque blonde, on ne sait si elle est en souffrance ou si elle joue à sa manière. Auteur admiré, Annegarn a déjà fait l’objet d’une compilation hommage où l’on trouvait, en bonne place, son compatriote Arno. Si la musique des deux hommes les éloigne, un caractère pur et dur les rapproche.

Il n’est pas toujours bien gai, ce Soleil du soir d’Annegarn. Car le monde ne l’est pas, et l’avenir de son pays moins encore. Cette simplicité rapeuse des accords, ces textes travaillés, sont toujours aussi bons.
Dick Annegarn a peaufiné en 18 albums (ah ouais, quand même!) un art du portrait, des vies de tous les jours, il a laissé ses cailloux de poucet également, décrivant les villes comme personne (Bruxelles, Lille). Il jongle avec la langue avec entrain (Que toi), sachant être drôle et acide (son Père Ubu a fait le tour du monde). Mais avant tout, Annegarn c’est le blues des Flandres, un blues faire pâlir d’envie l’Amérique, un blues qui lui coule dans les veines comme s’il était prisonnier de son art. Il n’y a pas de prisonnier heureux, et Soleil du soir contient onze (magnifiques) crépuscules.

L’humour décalé des débuts est devenu ironie acide, lorsqu’il évoque les désordres du monde avec une poule qui “pond tant” et qui répand sa fiente un peu partout.
Le disque n’est décidément pas gai, tutoyant  Jacques Brel en ami disparu, et se demandant comment on peut vivre sans famille.
Tristesse et trouille, dans une langue prenante. Le blues de ce disque, lui, n’est pas le plus rèche qui soit. Il sait s’arrondir, s’ajouter quelques cordes sur Jacques. Annegarn fait sobre, cela ne veut pas dire pour autant qu’il néglige les arrangements.
Vous pourrez l’écouter à la Boule Noire (Paris) en mars 2009.

Etant peu féru de poésie, je ne sortirai pas le compliment habituel sur “un poète”. Mais voilà un auteur, oui, un auteur qui sait travailler en artisan un matériau simple, lui donner la patine du bel ouvrage.
Voilà le genre de disques qui appellent un silence après eux. Il laisse un peu troublé, ému. On repense à Bluesabelle, on aimerait savoir ce qu’elle est devenue. Paysages et personnages nous sont déjà familiers.



Comments

1 Commentaire


  1. 1 Anna on décembre 14, 2008 16:02

    J’aime beaucoup ces deux chanteurs, avant aujourd’hui je n’avais entendu qu’un morceau du nouveau disque de Mathieu Boogaerts, All I Wanna do, sur France Inter, que j’avais trouvé très bon (la façon de marquer le rythme avec la voix, surtout).
    Il faudra que je jette une oreille au disque entier, ainsi qu’à celui de Dick Annegarn ( pour ceux qui ne le connaissent pas de nom, vous avez peut-être entendu son Bruxelles, un vrai chef-d’œuvre (chantée aussi par Bashung)

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