the naked lunch
Du cul, du sexe, des empinades sauvages, des rasades de sécrétions en tous genres, des positions innombrables et surtout, surtout, une violence constante, énorme, une brutalité inextinguible.
Voilà, en résumé, les premières années de vie de Lydia Lunch, fort heureusement connue pour autre chose, notamment ses disques déjantés que j’ai évoqués en parlant de la no wave.
Le Serpent à plumes a traduit en poche son Paradoxia, journal d’une prédatrice, livre féroce et d’une sincérité totale, où elle raconte par le menu sa vie de gosse déglinguée avec un père taré, minable et surtout incestueux, et ses premières années de vie indépendante, menées tambour battant et les jambes écartées.
On est très loin d’une biographie, telle qu’un journaliste ou un spécialiste de l’underground aurait pu l’écrire. Hormis quelques allusions, au détour d’une phrase, on n’apprendra rien ici de la carrière artistique de Lydia Lunch. On y trouvera encore moins d’explication sur les disques qu’elle a faits (et qui ne sont qu’une partie de son énorme production artistique). Non, ici Lydia Lunch suit une idée bien précise, et s’en tient au récit de sa vie personnelle au travers de son rapport au danger, au sexe, et à la violence. Trois choses qui, chez elle, vont nécessairement ensemble, et qui toutes atteignent des extrèmes qu’on pourrait croire réservés à la fiction.
Ce livre, c’est aussi et avant tout le parcours d’une guérison, partielle (très partielle), tardive, incomplète mais presque inespérée. Le parcours d’une survivante de l’inceste, abimée par son père et incapable d’entretenir des rapports “normaux” avec les hommes. Misandre, misogyne, machiste et prédatrice, Lydia Lunch a sauté à peu près tout ce qui lui passait à portée de main, avec une prédilection pour les détraqués dangereux (Johnny et Marty ont chacun failli la tuer, il s’en est fallu de peu) et les adolescents à peine pubères (mais pas moins dangereux).
Je ne recommande pas ce livre. Je ne regrette pas de l’avoir lu, mais je trouverais très glauque qu’on choisisse de le lire en connaissance de cause. C’est une vraie vie. Un vrai parcours de défonce, de déchéances, de jeu de cache-cache avec la mort, dans lequel elle a miraculeusement échappé à la mort et au Sida (sans oublier hépatites, cancers et tout ce qu’elle aurait logiquement pu choper).
A chaque page et même derrière les innombrables orgasmes qui les jalonnent (je déconseille aux mecs de lire ce livre dans les transports en commun), c’est une douleur incurable qui s’étend du début à la fin. A la fois une fuite et les étapes d’une femme dotée d’un instinct de survie hors du commun.
D’ailleurs chez elle il n’y a rien, absolument rien de commun.
Ce livre est glauque, malsain, dérangeant, parce que tout ce qu’il raconte l’est, et raconté ici avec franchise. Mais c’est un vrai livre, pas seulement un témoignage des ravages de l’inceste et de la drogue. Un vrai livre avec un style, une construction. Une plongée, aussi, qui nous emmène en apnée loin dans le noir et dont on ressort les mains tachées de sang.
Ca fait mal. Mais ce n’est qu’un pâle aperçu de ce qu’elle-même a vécu.
J’ai envie de vous dire de ne pas lire ce livre. Mais de vous débrouiller pour voir les performances de Lydia Lunch et écouter ses disques.
Justement, si vous tombez sur un disquaire qui vous sort que ses albums sont épuisés, changez de crèmerie ou insistez lourdement. Par bonheur, lis sont bien trouvables, notamment la compilation Deviations on a theme : rétrospective publiée en début d’année. Très utile, mais moins intéressante je trouve que l’écoute d’albums complets.
Son dernier disque vient justement de sortir. Omar Rodriguez-Lopez & Lydia Lunch, un album sans titre, 5 titres qui, comme presque toujours, demandent beaucoup d’attention. A l’opposé d’autres disques lents où elle pouvait déposer ses textes sans avoir à lutter contre les notes, ici une musique puissante et destructurée nous oblige à lutter pour accéder aux paroles. Figurez-vous que ces 2 figures de l’underground (O R-L est aussi membre de At the drive-in et de The mars volta) ont convoqué la crème des musiciens, à commencer par Money Mark.
Ce disque n’est pas facile d’accès, et hormis les fans de free jazz et les connaisseurs de Lydia Lunch je suggère de débuter autrement. Avec du “classique”, si vous voulez bien. Ne soyez pas surpris de découvrir une Lydia Lunch plus personnage beat ou “poétesse punk” comme on dit parfois, que chanteuse véritable. Pour les rockeux, donc, je propose Honeymoon in red, qu’elle a enregistré avec (notamment) Thurston Moore. L’album se ferme sur une version vénéneuse du splendide some velvet morning créé par Lee Hazlewood et Nancy Sinatra et qu’elle chante avec RS Howard.
Aux plus récalcitrants, je suggère son disque le plus facile, un autre bijou, Queen of Siam (1979), où le jazz prend souvent le dessus sur la chanson. En l’écoutant vous saisirez mieux pourquoi je préfère voir en elle une artiste beat qu’une punk (même si la filiation est nette entre les 2 courants), d’ailleurs elle a une oeuvre de spoken word considérable. Sa version de spooky, complètement funky et entêtante, est peut-être la meilleure qu’on ait entendue, ce qui n’étonnera pas les lecteurs de Paradoxia.
De Lydia Lunch, retenez deux ou trois choses. D’abord qu’elle ne rentrera jamais dans une case, et surtout pas celle “no wave” qui l’a fait connaître et qui n’est pas un genre à proprement parler. Ensuite que c’est une artiste chez qui les clivages chanteuse/auteure/performeuse/etc n’ont pas de sens (je reviendrai un jour ou l’autre sur ses films). Enfin que cette personnalité écorchée et hors norme est passionnante, insaisissable, et a probablement travaillé avec plus d’artistes de votre connaissance que vous ne le soupçonnez. Considérez qu’à ses côté Asia Argento ferait office de sage communiante.
Aux audacieux je dis : foncez !
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