Sound of noise : ils tapent sur le système
Deux points de départ, une course de haut niveau, puis un final essoufflé. Mais on peut aussi résumerSound of noise de manière moins lapidaire :-)
Le premier point de départ c’est celui du spectateur mélomane. Jacques Tati, d’abord, maître entre tous dans l’utilisation pointue des sons de la modernité au cinéma. Puis un court métrage suédois de 2001, primé dans le monde entier, Music for one apartment and six drummers, à voir et à revoir!
Un court métrage excitant et réussi, mettant en scène 6 percussionnistes dans un appartement dont le moindre tiroir ou aspirateur était transformé en instrument de musique. Pas d’histoire, mais de l’humour, un son et une musique super, et une inventivité réjouissante. De ce premier succès, les réalisateurs Olaf Simonsson et Johannes Stjärne Nilsson ont tiré par la suite d’autres courts métrages, puis ce long qui sortira le 29 décembre.
Le second point de départ, celui de ces musiciens. Perpétuer une veine qui utilise les artefacts de la vie moderne pour les détourner en instruments d’un instant. Souvenons-nous de la lecture de « l’art des bruits » de Luiggi Russolo. Souvenons-nous aussi de ce batteur de rue à Philadelphie, utilisant ses baguettes sur des poubelles et cartons soigneusement sélectionnés.
Souvenir encore, un Daniel Humair encore vert se levant en plein solo, au Moulin du roc en 1988, pour continuer à frapper sur ses toms, sur sa chaise, sur la scène, tout ce qui à sa portée pouvait résonner. Enfin, cette anecdote qu’on vous rapportait plus tôt dans l’année, lorsque le jeune LaMonte Young était captivé par le bourdonnement des lignes à haute tension surplombant sa maison.
Sur un propos simple comme un scénario de Carpenter, les scénaristes ont greffé des intrigues annexes. Ils ont eu peur du vide, c’est bien dommage car ils ne font pas confiance à leur point fort, l’inventivité sonore. Sur les six percussionnistes, cinq sont le sont de profession, tandis que Sanna Persson est comédienne. Peu servis en dialogues, les percussionnistes ont un look, une gueule, une présence, et même s’ils sont caractérisés de manière un peu archétypique ça n’est pas très gênant.
Un gang de percussionnistes brave la loi en utilisant le matériau urbain comme instrument de musique. Très beau point de départ et défi excitant. Curieusement on l’abandonne quasiment sur la fin au profit d’histoires secondaires amoureuses et familiales qui n’en méritent pas tant.
De cette belle idée, le film donne deux magnifiques démonstrations en tout début de film. Les autres sont moins captivantes malgré de bons côtés à la banque. Les idées ne manquent pas, décidément. C’est même un souci d’en avoir trop et de ne pas les exploiter suffisamment.
Le policier est allergique à la musique, lui dont toute la famille est l’élite musicale du pays. C’est lui qui doit pourchasser les trublions soniques, et Bengt Nilsson est remarquable dans ce rôle un peu premier degré et assez touchant. Tous les “vrais” comédiens sont d’ailleurs à la hauteur.
Outre une très grande qualité de son et d’image, Sound of noise a pour lui deux vraies idées de cinéma. La première est dans la provocation décalée. En 2010 où le terrorisme est un sujet plombant et terrible, faire de percussionnistes l’ennemi numéro 1 est assez grinçant. Ce n’est pas le seul tabou qui cèdera dans l’intrigue, on s’attaque d’emblée au corps humain, de plus en plus sacralisé et protégé dans nos sociétés, avant de “braquer” une banque non pas en prenant l’argent mais en le détruisant ! Et de quelle manière, ah le mélodieux bruit des billets dans le broyeur!
La fin du film perd de vue la transgression, la guerre sonore menée contre l’orchestre symphonique est très banale 50 ans après Woodstock et 20 ans après les rave et free parties. Quand au mouvement final, chiantissime, il ne brise rien, à part les bornes de l’ennui, au prix d’une incohérence. Car à trop se reposer sur des idées on oublie que des lumières qui s’allument et s’éteignent peuvent être très jolies mais ne produisent pas de la musique. Au mieux, elles l’illustrent. Dommage vraiment de ne pas avoir poussé la provocation jusqu’au bout après nous avoir mis en appétit.
La deuxième bonne idée est de déplacer les angles du triangle. On a d’abord la musique “officielle”, reconnue et installée, à laquelle s’opposent notre gang de percussionnistes. Mais la loi, le policier, est le troisième protagoniste. Or s’il ne supporte pas l’atteinte à la loi, il a une telle antipathie pour la musique en général qu’il se retrouve plus proche des bandits qu’il poursuit que de sa famille (au propre comme au figuré), qu’elle soit génétique ou celle des forces de l’ordre. Sans être très innovant ce déplacement d’alliance a le mérite d’être un bon point du scénario, même s’il est utilisé de manière un peu pataude. A trop avoir cherché à mettre en place, les créateurs du film s’épuisent et nous laissent nous démerder durant la dernière demi-heure. Ne cherchez pas d’acme, de point d’orgue, de bouquet final. C’est encore là le plus gros problème de ce film qui nous aura vraiment plu et fait rire durant sa première moitié, au moins.
Finalement, ce qui perturbe le plus la réflexion c’est qu’ils aient pu faire tourner le bouzin durant une bonne heure, ce qu’on croyait le plus difficile, sans parvenir à tenir la dernière demi-heure. Le decrescendo ne manque pas d’interroger lui-aussi. Comme si une logique déceptive présidait à ce film, à l’image de la volonté des 6 drummers de mettre à bas les codes musicaux. D’autres se sont essayé à ce défi déconstruction-reconstruction, de Dada à Lavid Lynch, de Godard à Terry Riley, John Cage ou Einstürzende neubaten. Mais c’est beaucoup d’honneur de citer pareils noms, un peu trop d’honneur?
Quelques vraies erreurs, donc. Qui agacent d’autant plus qu’ils tenaient un très bon film et l’ont laissé filé. Soumission docile au format imposé de 90 minutes, tellement en contradiction avec le propos du film. Scories narratives, comme cette poursuite lassante dans les docks, ce coup de foudre improbable, ou cette anomalie auditive inutilement fantastique.
Trop nombreuses, les erreurs, pour qu’on les passe en silence. Et puis pourquoi donc vouloir à tout prix reproduire, dans chaque film, une structure en 4 mouvements qui singe la composition classique “savante”? Pourquoi, surtout, gâcher un superbe prologue et un premier mouvement remarquable par un essoufflement gênant? En donnant le meilleur au début, the sound of noise tend le bâton pour se faire battre. Parce qu’on l’aime vraiment, ce début.
On aurait envie d’être sévère, mais ce serait excessif. Malgré un dernier tiers insuffisant, on passe un bon moment et on garde très nettement en mémoire certains passages. D’un film construit sur le talent de percussionnistes, on ne pouvait attendre une narration haletante ni beaucoup plus riche. Et puis à une époque où la musique au cinéma est généralement tournée vers le passé (même Good morning England), lyophilisée et empesée d’hommage (biopic sur Johnny Cash, sur Piaf, hommage à Abba, à Lennon…), Sound of noise apporte un peu de fraîcheur, de vie. Enfin un film qui ose faire de la musique sa matière première, à égalité avec l’image, et par la création plutôt que la citation. Quand on songe au pet de mouche inodore que Daft punk a pondu pour Tron, Sound of noise, malgré tout, rassure un peu. Sans totalement convaincre, malgré tout.
Pour vous montrer ce que ce film aurait pu être, voici la première séquence musicale, Music for one highway, un vrai bijou. J’ai bien cru que j’allais me lever et danser, mais j’avais un peu peur de me faire virer de la salle de projo :-(
En fait on a quand même envie de vous envoyer voir ce film, quitte à ce que vous partiez avant la fin, ce que vous ferez sans doute ^^
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Je suis également d’accord sur le fait que la dernière partie du film soit moins réussie que le reste. Mais quand même… Quelle claque ! Ce n’est quand même pas tous les jours qu’on se retrouve à headbanger dans un cinéma, à avoir les yeux et les oreilles aux aguets (notamment durant l’incroyable scène de l’hôpital : ). Je pense que le film vaut vraiment le détour en salles. Déjà pour le voir avec un son digne de ce nom, et aussi parce que ce type de films mérite amplement le soutien du public. Un film indé qui ne se la joue pas “incompréhensible et concept” et qui est rempli de bonnes idées, ça n’arrive que trop rarement !
A+
Pauline
J’invite chacun à se ruer sur leur petit film d’il y a 10 ans ! (tiens, je remets le lien déjà dans le billet pour être sûr que vous allez cliquer http://www.youtube.com/watch?v=sVPVbc8LgP4)
Pour le film, je suis alléché à mort ! Même si cela semble s’essouffler, c’est comme tu le dis le cinéma qu’on aimerait voir davantage, où l’impression et le ressenti compte au moins autant que l’histoire, voire plus.
J’espère que la vidéo que je vous ai mise met en appétit :-)
Yep Pauline, headbanger au ciné est un plaisir trop rare !
Et désolé pour ton comm qui était resté en zone de transit par mon vilain antispam
Très bien, ton article…
Dommage que le film soit si nul…
Offrir une trame poussive aux forfaits des batteurs, justifier leurs actions, c’était vraiment une fausse bonne idée. Surtout quand ces personnages d’activistes sont si mal caractérisés (Quel gâchis ! Ils n’ont absolument rien à jouer, rien à incarner) et l’histoire d’amour parallèle avec le flic si mal traitée… Paradoxalement, on aurait vraiment rêvé qu’une armée de script-doctors se penchent sur ce projet, parce que, là, que de carences… À la limite, on pourrait regarder Sound of Noise comme un vieux porno, les quatre numéros musicaux, remplaçant les scènes de cul impatiemment attendues… Télécommande à la main, ça pourrait vaguement passer… Et encore, sur ces scènes-là, qui jamais n’égalent celles de Musique pour un appartement et six batteurs, on débande bien vite…
Au final, ce qui marchait sur dix minutes du fait de son incongruité, de sa gratuité et de son absurdité assumées, ne fait pas un long métrage.
Avec Sound of Noise, l’année cinéma 2011 s’est terminée sur une belle escroquerie. Et dire que ce film avait été sélectionné à la Semaine de la critique à Cannes…
je trouve que tu restes sur l’impression des 2 derniers passages musicaux, qui justement ne sont que des abstractions mais ne donnent rien musicalement.
la vidéo ci-dessus donne le prologue, et les scènes à l’hopital et à la banque sont excellentes, bon rythme, inventivité, musicalité, je dansais sur mon siège. A la fin, plus du tout, c’est vrai, mais les 3 premières “clips” fonctionnent.
cela dit je trouve ton allégorie pornographie totalement justifiée ^^
Je l’ai vu en mai… Depuis, j’ai préféré oublier les détails… ;-)
Dès le départ, j’ai trouvé que ça ne fonctionnait pas. Pour moi, c’était du réchauffé.
Un machin qui tourne à vide pendant 10 minutes, ça peut être marrant (le court), mais pendant une heure et demie…
ouhlala!que c’est mauvais!musicalement,c’est pas créatif pour deux ronds;l’orchestre symphonique est complètement ramollo,et les percus d’un ennui!;le scenario?ben,comment dire…tout ça aurait pourtant pu donner un truc passable,mais ça ne fonctionne pas,du début à la fin…quand je vois les critiques
elogieuses sur ces musiciens merveilleux et le propos super fort,je me demande ce que les gens écoutent…
je te trouve dure avec les premiers “sketches” de percu, que j’aime beaucoup,
mais le scénar pêche c’est clair, c’est un film à sketch et ils auraient du le traiter comme tel :-)