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Serge Clerc et sa BD hurlante

Evidemment, les spécialistes auront corrigé d’eux-mêmes, ce n’est pas d’une BD mais d’un “roman graphique” que je vous parle.

Vous connaissez déjà des romans graphiques, même sans savoir qu’on les désigne ainsi. Maus d’Art Spiegelman, ou Persepolis de Marjane Satrapi, sont sans doute les plus célèbres. Ils sont dessinés, et ils sont des livres “tout court”, que leur travail de construction et de narration apparente bien au roman.

Par un spectaculaire retournement de situation, c’est donc par un “roman graphique”, genre le plus noble de la bande dessinée, le plus adoubé par les intellectuels, que Serge Clerc brosse le portrait d’un grand magazine de sous-culture dans Le journal.

La sous-culture, sub culture avant qu’on traduise le mot, est plus un qualificatif qu’une expression péjorative, ceux qui en font revendiquent volontiers cette étiquette.

C’était notamment le cas de Jean-Pierre Dionnet, fondateur de Métal hurlant, et grand dévoreur de comics de super héros (entre autres).

Ce magazine a dynamité une conception de la BD, qu’on associait plutôt à Pilote ou au Journal de Spirou. Là, on retrouvait ce qui fait le sel des “cinéma bis”, et des centres d’intérêt de grandes personnes comme le sexe ou la violence. Métal hurlant, c’est aussi le point d’origine des Humanoïdes associés, les mêmes personnes publiant soit dans le périodique soit chez l’éditeur. Songez un peu que les premières planches de Arzach, totalement muette, furent dessinées par Moebius pour Metal. C’est dire l’importance de ce magazine, qui fit émerger quelques unes des plus incroyables plumes du paysage.

Avec son regard subjectif, éminement sélectif, Serge Clerc retrace avec une folle énergie les années de sa participation au journal de Dionnet. Des années qui furent rapidement celles d’une autre figure marquante, Philippe Manoeuvre, “Phil Man”, que Serge Clerc croque comme son mentor. Eternellement chaussé de lunettes noires, Phil Man s’impose progressivement comme le personnage principal du récit, son détonateur.

Ni documentaire, ni journal de souvenirs, Le journal est un bouquin stupéfiant. Sa première force est évidemment le dessin à couper le souffle de Clerc, qui m’a toujours séduit dans les années 80 mais qui atteint le sublime ici.
On est captés par une foultitude de détails, malins, tendres parfois, burlesques souvent, bouillonnants toujours.  On est pris par un flot magnifique, tumultueux comme un torrent. C’est passionnant !

Et si Clerc a passé ces années à se forger une culture graphique, cinématographique, et à devenir l’ami de Chaland, il les a aussi passées à découvrir le rock avec Manoeuvre.
Quelques unes des plus belles pages de cette somme ébouriffante touchent donc au rock, comme l’épisode épique de Manoeuvre assistant au concert des Sex Pistols sur la Tamise, et attaquant complètement bourré la frégate des policiers venue mettre fin au vacarme. Un coup fumant.

Depuis des années le trait de Serge Clerc me manquait, sa “ligne claire” réappropriée, ses pin ups de dingue, ses pantalons au tomber inimitable, ses yeux basculant dans le vague à l’aide de croix.

Sans compter des fulgurances langagières qui passent l’épreuve du comique de répétition (”par bigre!”, “par by Jove!”, je ne m’en lasse pas :-)
Denoël graphic a sorti là un grand livre.

Amateurs de dessin ou pas, si vous aimez le rock, et si vous aimez les bons livres tout court, vous allez me faire le plaisir de vous ruer sur Le journal ou de vous le faire offrir dans les plus brefs délais.

Parce qu’un panard comme ça, ça ne se refuse pas.

Allez hop hop hop, qu’est-ce que vous faites là encore devant votre écran !