S, comme “space funk”
Fatalement avec les artistes, vient un moment où à force de se fourrer tout plein de trucs et de machins dans l’organisme, on finit comme dans l’espace : ça manque d’oxygène.
Mais il fut aussi un temps héroïque où la conquête du rock accompagnait les utopies du moment. La paix (uh uh uh, pardon j’en tousse de rire). Ou l’espace, marcher sur la Lune, toutes ces conneries sans intérêt qui permettent de faire la nique aux soviétiques et de vendre des BD, des films, à n’en plus finir.
Alors que la fumette se traduisait dans le rock par un courant “psychédélique”, la planète groove a toujours préféré un autre adjectif : space. Ah, le début du fabuleux Are you experienced de Jimi Hendrix, où la voix s’emballe en expliquant qu’il vient de Mars ^^ Un grand moment où le rock cesse d’être moderne et devient futuriste!
D’autant que Hendrix était un as de la pédale wah wah et du fuzz, si on ajoute les effets d’écho et les synthétiseurs, on a les techniques fétiches des musiques “space”. Avec aussi les effets de stéréo “dynamique”, dont Meddle de Pink Floyd est une réussite splendide (One of these days, essayez donc de faire mieux, tiens).
Space-funk, space-jazz aussi parfois, à moins de remplacer encore “space” par “cosmic”. On annonce la couleur : la vérité est ailleurs, mon corps n’est pas mon corps, mon être réel est actuellement entre Venus et la galaxie du Centaure, avant de laisser votre message sur le monolithe merci de vous essuyer les pieds avant d’entrer.
Je ne vous mettrai pas en écoute l’un des plus beaux représentants du genre, le fabuleux titre Expansions de Lonnie Liston Smith and the cosmic echoes (malheureusement galvaudé par la publicité), accessoirement doté d’une des plus belles lignes de basse de l’histoire. Mais le titre est à l’unisson du nom du groupe : l’univers s’étend (là-dessus, Sciences & vie est d’accord), et l’on va vous faire entendre une version groovy du (silencieux) vacarme cosmique.
Le space-funk et sa variante jazzy ne sont pas toujours identifiables au premier coup d’oreille. Un peu comme les envahisseurs de David Vincent. Au désordre sonique du rock, au bordel ambiant du psyché à la californienne, le space funk oppose une douceur planante. Rien d’agressif ni de vraiment dérangeant. On croise plutôt dans les eaux d’A love supreme de Coltrane.
Le space funk emprunte à l’imaginaire sonore, notamment tel que développé par les compositeurs de cinéma, pour évoquer une aventure sidérale. La dimension positive et paisible de cette musique est une constante frappante. Tantôt gai et dansant (expansions, space jungle luv de Oneness of Juju), tantôt cool et planant, le space funk et le space jazz ont pour caractéristique de n’être ni torturés ni tristes. Ils véhiculent un état idéal dans lequel on aimerait rester en orbite stationnaire. Débarrassé des passions terrestres.
Space funk donc, mais impossible de laisser le jazz de côté. Ce serait faire injure à Sun Ra. Magicien complètement barré, dont la tête fuit de partout en laissant s’échapper des disques oscillant entre le bon et le génial, Sun Ra est le plus obsédé sidéral de tous (cf. son Space is the place). Ce qui ne l’empêche pas de rester en prise avec le réel, et de nous balancer un cruel et fort Nuclear war.
Pas de guerre nucléaire sans évoquer l’Allemagne, une nouvelle fois démilitarisée, ses missiles SS20 (que les moins de 30 ans ne peuvent pas connaître), l’Allemagne et ce grand fourre-tout imaginatif hardiment baptisé krautrock. Le krautrock, fleuron de l’époque psychédélique, c’était souvent plus de psilos que de choucroute, malgré son nom. C’est peut-être aux millionième space cake englouti que naquit l’epression concurrente de “kosmische musik“. Rien que les noms, déjà, Popol Vuh, Ash Ra Tempel, Tangerine dream… de quoi transformer l’ampli en poste de commandes et le salon en station spatiale. Si vous avez encore des doutes, écoutez plutôt ça :
Pas de quoi être jaloux, piti françouziches, parce que notre Christian Vander local tient lui aussi une sacrée couche de poussière cosmique. Ce batteur est le fondateur et compositeur du légendaire groupe Magma, à mi-chemin entre space-jazz et krautrock (ce rock allemand parti du psychédélique pour aboutir au minimalisme electro). Vander a inventé une langue, le Kobaïen, et développé le mouvement Zeuhl, en prise avec les forces cosmiques. Autant dire que Bowie et ses spiders from Mars, à côté, c’est vraiment “Oui-Oui et le télescope”.
Il est temps de filer au grenier sortir de la malle votre vieux déguisement de cosmonaute.
“la planète groove a toujours préféré un autre adjectif : space”
Marrant que tu dises ça, parce que pour moi, l’une des premières occurrences de ce “préfixe”, c’est le… space rock des Anglais d’Hawkwind (et si tu demandes l’avis d’Eric de PlanetGong, il te dira que Pink Floyd, on peut appeler ça du “space blues” ;D).
Marrant aussi que tu évoques “A love supreme”, longue incantation mystique qui, pour moi, a une base bien terrestre et s’élève, sans jamais perdre de vue d’où il “part”… De toute façon, le disque le plus space de Coltrane, ce serait pas son ultime (dans tous les sens du terme) “Interstellar space” ? Mais là, c’est d’une violence sonique et d’une ferveur comme on entend très rarement : se faire atomiser le cerveau pour mieux être en phase avec les hautes sphères et monter, monter, monter…
(sinon, pour ce qui est des effets stéréo, faut pas oublier le fabuleux solo de batterie diffracté par le Grand Phaser Magique de “Silly Sally” de Sweet Smoke^^)
Et la space soul ? J’y songe fort depuis que j’ai écouté le Janelle Monae, avec cette très belle ballade planante, “Mushroom & roses”, et j’essayais de retrouver des titres du même acabit. Spontanément, j’ai repensé à la version originale de “Strawberry letter 23″ par Shuggie Otis… Tu en vois d’autres dans le même style ?
Bref, trêve de bavardages, pour tout comprendre à notre “amazing and expanding universe”, tout est là : http://www.youtube.com/watch?v=r9idN474hfI
;D
la space soul, on en trouve en effet dahu,
mais je n’ai jamais croisé l’expression
je vois ce que tu veux dire pour le Shuggie Otis, son inspiration information est un des disques les plus magnifiquement produits et mis en son que j’ai jamais entendu (avec Expansions, d’ailleurs) :-)