Retromania : Simon Reynolds explique le futur antérieur
Obsessions communes
On débutera cette lecture par un nombril, le nôtre. Car on a trouvé dans cet essai replet un enrichissement considérable de questions qui nous taraudent et sur lesquelles on s’est déjà épanché ici-même. Et puisqu’il est question de l’obsession de l’univers pop (et rock) pour son passé, on saisit la perche pour en fournir un exemple typique quoique peu glorieux ^^.
Le “futur antérieur”, rien de mieux pour résumer ce bel essai de Simon Reynolds. Ironie du calendrier, nous achevons enfin notre lecture de Retromania, trouvé à Londres l’été dernier, au moment où sa traduction est sur le point de paraître et fournit l’occasion d’un dossier dans le mensuel GQ. Saluons au passage la célérité de cet éditeur exemplaire qu’est Le mot et le reste, le vrai grand éditeur rock en France, alors qu’on doit souvent attendre 3 à 10 ans pour lire en français les essais anglophones importants.
Le sous-titre est explicite : l’addiction de la pop-culture à son propre passé. A peine avions-nous aperçu la couverture que des articles de notre main nous repassaient en mémoire. Nous n’étions donc pas visionnaire, dommage. Nous ne sommes donc pas brillant au point d’avoir été le seul à identifier quelques traits saillants de l’époque. Déception.
Déception et contentement de lire sous la plume de Reynolds, plume affûtée s’il en est, un essai riche et stimulant sur l’incapacité de notre époque à ne pas vivre l’oeil vissé sur le rétroviseur. Car c’est une chose d’écrire quelques pages sur la question, comme nous l’avons fait ici sur la tendance “garage” dans le rock, ou encore là sur l’incessant revival qui limite l’innovation musicale (je vous recommande hautement les commentaires de haute volée qui sont plus intéressants que l’article lui-même). C’en est une autre de proposer une étude dense et documentée sur un sujet vaste, aux ramifications profondes. Nous avions-même parlé plus d’une fois des reprises qui se multiplient et sont devenues un filon à part entière, mais Reynolds lui, s’élève un peu plus et dévoile une vision d’ensemble d’une qualité incontestable. Si l’on insiste, c’est qu’on vient de refermer un des quelques livres, pas si nombreux, qu’on aurait fantasmé d’écrire nous-même.
Un essai à l’anglaise
Anglais expatrié aux Etats-Unis, Reynolds écrit dans la tradition de ces deux cultures. Le “je” y a sa place sans virer au nombrilisme ni au gonzo un peu trash. Au fur et à mesure, la première personne, devenue banale avec la multiplication des blogs, se justifie de plus en plus. Lorsqu’il vient à évoquer les ancrages nationaux, du hiphop anglais et américain notamment, on est frappé avec lui, de réaliser combien il se sent bel et bien anglais, alors que son fils, qui n’a vécu qu’en Amérique, ne partagera jamais vraiment les mêmes références.
C’est probablement à cette culture d’essai grand public que Reynolds doit de réussir à manier des références pointues sans larguer ses lecteurs. Références musicales, déjà, puisqu’il se refuse à séparer la culture populaire de genres plus confidentiels, parlant avec la même aisance de Madonna et de Oneohtrix point never.
Références intellectuelles également, distillées sans ostentation mais à point nommé, Adorno ici, Derrida (théoricien de l’hantologie) ou Badiou là. Reynolds ne se limite pas à des constats pertinents mais intuitifs, il se documente et nous donne les clefs pour poursuivre l’analyse.
Le syndrôme du rétroviseur, pas si nouveau
“La nostalgie, camarade”, chantait Gainsbourg en 1981, alors que se tournait la page Giscard et que Mitterrand promettait de “changer la vie”. Message d’avenir s’il en est, mais qui, visiblement, inspirait aussitôt plus de nostalgie que d’enthousiasme. A en croire Reynolds, ce n’est pas une poignée d’artistes qui joue à “et si on était nés 20 ans plus tôt?”, c’est tout le zinzin qui est coincé, la manivelle a du jeu et la machine d’HG Wells fait tourner les aiguilles à l’envers. Avant on avait Radio Nostalgiue, maintenant il y a des spéciales “années 80″ en prime time, la chaîne HV1 qui ne diffuse que les clips de notre adolescence, et tout le reste à l’avenant.
En lisant Reynolds, on ne peut s’empêcher d’avoir à l’esprit la série télévisée How I met your mother, qui introduit une nouveauté perverse, une nostalgie du présent. Drôle et attachante, cette série est aussi terrifiante par son principe : tournée au présent, elle se raconte au spectateur au passé, avec une nostalgie certaine. Alors que le présent est un futur qu’on entame, il devient ici moins qu’un simple présent, il est déjà du passé avant d’être complètement consommé. Plus de futur, plus de présent, seul le passé existe, qui dévore tout. Ce simple artifice narratif illustre à quel point la rétromania a bel et bien gagné toute la culture populaire.
La nostalgie occupe une place importante dans ce livre, dont une bonne partie combat l’idée qu’elle serait une manifestation nouvelle. La culture occidentale était déjà volontiers nostalgique dans les années 1970 ou 1980, Reynolds le démontre sans contestation. Les années 70 regrettaient les fifties, et même le punk en est la preuve. C’est un moment frappant de la lecture lorsqu’on se trouve opiner sur ce point : les punks ont rompu ouvertement avec les années 60 mais en puisant largement dans la décennie précédente, celle des balbutiements du rock.
Les revivals non plus ne sont pas si nouveaux, même s’ils sont devenus plus nombreux, et simultanés (c’est la nouveauté des 2000s). Le rétro, le vintage, n’ont pas attendu le 21e siècle pour être au coeur de la mode. Là encore, la spécificité actuelle n’est pas le rétro ou le vintage en soi, mais la place qu’ils occupent au détriment de tendances nouvelles. Et Reynolds de citer le rétro-gaming. On pourrait aussi penser aux innombrables “nouveaux Beatles” (on ne les compte plus), la nouvelle Janis Joplin (Izia), le nouveau ci ou ça qu’on désigne donc comme n’ayant rien de nouveau puisqu’on n’a de mieux à dire sur eux que leur parenté avec des artistes parfois morts 40 ans plus tôt. Prolongeons l’aparté, en rappelant que “the boss” (Springsteen) ou “the godfather of soul” (James Brown) ne doivent leur surnom qu’à leur aura propre, et pas à une comparaison avec qui que ce soit.
Pas étonnant, dans ce contexte, de voir autant d’artistes reprendre une guitare qu’ils avaient remisé depuis longtemps, ou de groupes se reformer, aussi bien the Police que… les Sex pistols! No future, peut-être, mais pas sans passé en tout cas. Toute l’industrie musicale fonctionne à plein grâce à son passé, rééditions à l’identique (Reynolds étudie en longueur l’étonnant cas du Japon), rééditions remasterisées, rééditions avec bonus et coffret, mais aussi tournées anniversaires. On a vu fleurir des tournées où Sonic Youth, Lou Reed, ou les Pixies rejouèrent, dans l’ordre exact du disque, un de leurs albums emblématiques (Daydream nation, Berlin, Doolittle). Et le public en redemande, les salles sont pleines.
Quant-à Abba ou Queen, dont plusieurs membres sont encore en vie, ils ont droit à des biopics et des comédies musicales à succès. L’époque, dans son ensemble, paraît donc gagnée par la nostalgie et une revivalite aiguë.
Collectionneur, crate digger et artiste hantologiste : victoire du numérique
Erreur : mémoire pleine. Tel est le message affiché en grand sur l’écran de notre époque.
Abba n’est pas seul à avoir droit à son biopic. Le passé, encore récent, occupe de plus en plus de place dans la pop culture, Tina Turner a même donné son avis sur l’actrice qui l’incarnera à l’écran. De son propre vivant!
Musée des Beatles à Liverpool, Rock’n'roll hall of fame, expositions sur le Rock’n'roll (Fondation Cartier) voire - un comble! - sur le punk (à la villa Medici), la culture rock et pop n’est plus seulement une culture vivante au présent, son passé est entretenu, scruté, célébré. La mémoire du passé est si présente et encombrée qu’elle devient saturée. Reynolds cite ici longuement Huyssen, qui parlait d’un “memory boom”.
Ce travail de mémoire, on le voit aussi hors des institutions. Il y a même des aspects illégaux, avec quantité de blogs dont le but est de mettre à disposition des disques épuisés, rares ou seulement jamais réédités en CD. Les années 90-2000 ont été celles, sur internet, de mp3 blogs consacrés à l’excavation de disques oubliés ou inaccessibles. Le moindre groupe, le plus obscur 45 tours, retrouvent une chance d’avoir un public. Reynolds (et nous avec lui) se décrit volontiers en accro de ces sites, passant son temps à télécharger des centaines d’heures de musique qui resteraient oubliées dans un coin de disque dur sans jamais être entendues.
La technique n’est pas sans conséquence. Elle tient le rôle principal. Le passage de l’analogique au numérique est Le pivot de toute cette histoire. Avec le numérique, la reproduction à l’identique devient possible sans déperdition et donc sans limitation. Lorsqu’internet se développe, c’est l’explosion. Toutes ces numérisations, toutes ces copies privées, se trouvent jetées sur des blogs innombrables, à la disposition de tous. C’est l’ère de la “sharity“. Mais aussi celle de l’indisgestion.
Au prix de cette indigestion, des genres entiers ont gagné une visibilité, en particulier la musique d’illustration, library music, dont on doit avouer être friand et posséder une collection conséquente. Certains passionnés et DJ se sont fait un nom en éditant des compilations de ce type, comme Patrick Whitaker et Martin Green. De DJ, ils sont devenus “curators” (d’ordinaire c’est la traduction de “commissaire d’exposition”), comme ceux qui publièrent “la crème de la Bosworth Library” en 2002.
Plus aucun disque ne semble tomber dans l’oubli, au pire il trainera dans un bac d’un dépot-vente. Et sera un jour acheté par un DJ, la culture hiphop étant toujours à la recherche de samples inusités, 2 secondes de trompette ici, un beat de 4s de batterie là… L’ébouriffant Endtroducing de DJ Shadow bouclant a boucle (jeu de mot), mettant une photo de son disquaire préféré en pochette de son disque construit exclusivement à partir de samples de morceaux existants.
La mémoire devient alors matériau. Au-delà du postmodernisme, Reynolds estime que le phénomène va encore au-delà en incarnant un genre nouveau. Pour le coup, ah, du nouveau avec du vieux, il n’y a donc pas qu’à se plaindre de la rétromania ;-)
C’est là que l’hantologie fait son apparition.
On aurait pu citer le premier disque de Alpha, Comme from heaven, pour lequel on a un faible et qui utilise par instants la voix de Sylvia Plath. De son côté Reynolds revient constamment au premiers disques de Boards of Canada pour évoquer ce courant, auxquels des critiques ont plaqué un concept de Derrida. Cool, non? Après tout il existe bien un groupe baptisé Pure reason revolution en hommage à Kant, et un autre Jean-Paul Sartre Experience, alors pourquoi pas Derrida? On vous laissera savourer les pages sur l’hantologie, tout aussi bonnes que le reste de l’ouvrage, mais vous commencez à deviner. Il y est question du passé, mais sous une autre forme que la citation (l’usage de base du sample) ou la reprise ou encore le revival. Acclamé par les milieux electro, BOC proposait d’emblée par la pochette de Music has a right to children une référence lexicale au passé, et une photo de pochette comme sauvée d’un grenier et où les visages auraient déjà été emportés par la surexposition.
Cette musique là est prisonnière de son rapport au passé, et d’une fantasmagorie ajoute Reynolds, même lorsqu’elle s’efforce d’aller de l’avant et de proposer une musique originale. Elle porte de bout en bout une nostalgie qui, dirait-on, est son inspiration principale. C’est là le truc flippant, si l’on prend l’hantologie au sérieux la création du neuf porte constamment la marque du passé, plus que jamais, plus que le rock n’était marqué par le blues par exemple. Reynolds en dit bien plus et le fait bien mieux, mais le but de cet article n’est pas remplacer le livre, plutôt d’éclairer quelques (bonnes) raisons de le lire ;-)
La technique, donc, au coeur de la rétromania. Comme les visages et les craquelures de la pochette de Music has the right to children, le son des cassettes analogiques s’évanouit peu à peu. Les ventes de vinyl restent stables depuis des années, voire augmentent un peu, mais Reynolds attire plus notre attention sur le retour des cassettes. Certains albums sont publiés exclusivement sur ce format, en 2011. Ce n’est pas seulement la musique du passé qui nous aspire, le rapport à la musique aussi a changé et certains s’efforcent de remonter le temps.
Et le futur dans tout ça?
Dans une ère aussi rétro, que devient le futur? Fait-il encore rêver? On s’écarte un peu du livre de Reynolds pour évoquer trois exemples. Retour d’abord dans les années 1980, tous les commerces ne juraient que par l’an 2000, magasins d’électroménager et hi-fi, bien entendu (Technic 2000, dans mon ancien quartier), mais aussi bien des enseignes de coiffure, vêtements, chaussures… Lorsqu’on voit aujourd’hui une devanture **-2000, on sait que le commerce date des années 1980. Un avenir de même pas 20 ans devant nous nous faisait saliver, rêver. En revanche, le 21e siècle est marqué par le retour des enseignes indiquant “fondé en 2003″ ou “est. 1997″, comme ces vieilles maisons anglaises, on joue à faire vieux tout en démontrant qu’on vient de naître.
A l’inverse, pour clore cet aparté, le futur est investi par des inventeurs inédits, dont le steam punk est le meilleur symbole. Les steam punks sont le summum du rétro-futurisme, on invente des machines qui seraient futuristes si nous étions en 1900, comme dans des uchronies dont l’animation japonaise est friande (Steamboy, Le chateau ambulant). On va chercher le futur… dans le passé, dans une sorte de communion avec Jules Vernes.
Reynolds évoque une “nostalgie du futur”, un peu différente de celle du présent qu’on identifiait plus haut dans How I met your mother. La puissance d’attraction des sixties, même déformées et fantasmées, tient pour partie à ce qu’elles sont un âge d’or, reconnait Reynolds. Mais c’est aussi une décennie où le futur paraissait à portée de main, et où le premier pas sur la Lune était, pour des peuples entiers, la promesse de connaître de son vivant la vie sur une autre planète. Ce n’est pas, nous dit-il, que nous ayons cessé d’innover, internet, le wifi, les voitures électriques, les tablettes tactiles en témoignent. Non, ce qui a changé c’est que ces innovations sont aujourd’hui banales, alors que dans les années 1960 le futur était excitant. Ce qui a changé serait donc notre regard sur le futur, et notre croyance dans les bienfaits et merveilles qu’il recelait et auxquelles on ne croit plus. Mais on aimerait y croire, comme ces enfants qui font semblant, et ne disent pas à leurs parents qu’ils ont compris que le père noël n’existe pas, comme déjà nostalgiques de cette magie de noël évanouie pour toujours.
Dans un article toujours pas démenti, GT relevait que depuis 2000, il n’est apparu aucun genre nouveau (du moins aucun qui touche le grand public, comme la disco, le rap, le grunge, l’ont fait). Simon Reynolds tient exactement le même langage, et nous conforte également dans nos propres analyses en constatant que “la nouveauté (au sens de ce qui prend la place de ce qui précède) a remplacé l’innovation”.
Mais ce qui pourrait n’être qu’un constat tourne au paradoxe, car Reynolds insiste sur l’omniprésence des années 1960 ou de la référence aux 60s dans les multiples revivals et musiques des 15 dernières années. Autrement dit, la culture pop se complaît dans un retour incessant à une époque qui était obsédée par… le futur! Les 30 glorieuses, et les 60s surtout, sont la période de la conquête spatiale, des débuts de la musique électronique pop, et d’une explosion de science fiction. Ici même on a témoigné de la floraison, à l’époque, de genres comme le “space funk”, la “kosmische musik”. Le cinéma n’est pas mieux loti, les films de science fiction sont des déclinaisons de films pas tout jeunes (Alien vs. Predator), ou des remake (La Planète des singes, Star trek, Solaris, l’homme invisible), tandis que la télé qui peine à inventer dans le domaine s’auto-cite abondamment (Stargate, SG Atlantis, SG Universe). On en revient un peu au steam punk, étonnamment oublié par Reynolds, par la manière de chercher non plus le futur dans notre imagination, mais dans celle de nos prédécesseurs.
En conséquence, la décennie 2000 sera peut-être la première de l’ère pop à être associée non pas à un style musical, mais à des objets et technologies (le mp3, l’ipod, le streaming, myspace…).
Hors de la pop occidentale, le salut?
Reynolds a abattu un boulot énorme et jamais son propos ne manque de justesse, ni de matériau. Stimulant, son essai appelle la discussion et la réflexion, on se sent donc assez facilement autorisé à le prolonger. A notre tour de nous lancer.
D’abord on peut se demander si la sclérose de la poprockosphère (expression maline qu’on doit à François Gorin) n’est pas limitée au monde anglo-saxon où elle est née. D’année en année des pays inconnus de la carte pop ou rock dans les années 1960 s’imposent, l’Islande, la Suède, le Brésil, la Russie, l’Afrique du sud… tandis que le blues malien gagne l’Europe ou que le hilife inspire des Vampire weekend, et que le kuduro angolais fait danser sur les pistes européennes. Au Brésil par exemple, on a vu un boom du baile funk, nouvelle forme de recyclage musical, mais aussi quantité d’artistes électro.
Rien qu’en electro, rien qu’avec le Brésil puisqu’on y est, ces dernières années on a vu de belles réussites dont on retient Gui Boratto, signé sur un label allemand, et le duo Tetine installé à Londres.
Justement… Tetine n’a pas touché le grand public mais ne fait rien pour. Ils évoluent principalement dans les galeries et le milieu de l’art contemporain. L’art contemporain, nouveau moteur de la création musicale? Un lieu comme la Gaité lyrique, beau lieu “des cultures numériques” (r)ouvert en 2011 à Paris, fait volontiers ce pari, tout comme des revues pointues comme MCD (musiques et cultures digitales) ou l’anglais the Wire. La volonté d’innover n’a pas disparu. Mais elle s’est sans doute refermée, dans les 70s un Bowie était une star mondiale et il ouvrait des portes, tandis qu’aujourd’hui ceux qui se veulent innovateurs évoluent dans des sphères au public limité, limité d’avance contrairement à l’industrie du disque où un succès mondial inattendu peut parfois survenir.
On apprend beaucoup en lisant ce livre de Reynolds, et on réfléchit. On ne sait plus trop si on doit se plaindre ou non de la rétromania, mais on en sait plus sur ses ramifications et ses cent visages.
On referme ce livre avec l’étrange sentiment d’avoir eu raison contre soi-même. Avec une grande lucidité, Simon Reynolds se livre à sa propre critique. A moins grande échelle, comme lui nous avons écumé les bacs de 45t et de 33t à la recherche de pressages originaux, puis fait le tour des mp3 blogs pour y récupérer des centaines d’albums des années 1950, 60, 70, 80, sans jamais avoir le temps de les écouter par la suite. On a mixé des nuits entières dans des bars en se focalisant sur la soul seventies et les musiques de films de la même époque. On a contribué à une collection de vieilleries pop-hitsiennes dont d’autres parlent mieux que nous. On a passé des heures carrées dans des friperies pour y dégoter des pantalons patte d’eph ou de criards chemisiers orange satinés. On a même consacré notre toute première interview à une étoile filante des années yéyé, Jacqueline Taïeb. Autant de manières de sombrer dans la rétromania qu’on allait finir par dénoncer dans les mêmes pages où l’on en avait fait étalage. Oui, la rétromania existe, et je l’ai contractée. La guérison est longue, et Simon Reynolds est un remarquable docteur.
Et comme il n’est jamais trop tard pour bien faire : en route pour le 21e siècle!
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waouh quel billet ! j’ai plein de truc à dire là dessus, bien entendu. Depuis que je suis en âge d’accumuler (2 - 3 ans ?), les vieux trucs m’attirent parce qu’ils portent sûrement quelque chose de ce qui nous a amené jusque ici. C’était d’abord les objets de mes parents, que je m’accaparait autant que possible, puis acheter : des vieux disques, des vieux meubles, des vieilles lampes oranges en plastique, des vieilles consoles de jeu, etc.
Mais pas que de l’achat : de la récup : fouiner, glâner, ramasser dans la rue, demander aux potes et connaissances de ne pas jeter mais de me donner, sinon comment croyez vous que j’aurais 16 iMac bulle dont je n’en ai payé qu’un seul !
Alors cette rétromania n’est-elle que nostalgie ?
Pas si sûr. C’est aussi une manière de confronter le futur avec l’ancien, quelque chose dans mon moi intérieur qui me fait me sentir moderne et vers le futur en utilisant des vieux trucs qui étaient modernes il y a quelques années.
C’est enfin une manière pour moi de consommer plus avec moins d’argent, parce que je ne fréquente pas les antiquaires mais les vide-greniers, je n’achète pas des disques de “discophile” ou des livres de “bibliophile” mais des objets écornés, abîmés, souvent pas les premières éditions rares, brefle des rebuts communs et pas chers.
J’y tire d’ailleurs souvent des petites gloires d’avoir trouvé tel disque qu’on trouve 30 fois plus cher.
Petit complément qui n’apporte rien de plus mais je ne sais pas dire autre chose que complément : la numérisation des disques (les pochettes et les sons contenus, mais plus les pochettes pour ma part) est le moyen de dépasser une folie très personnelle, à peine partagée avec sa famille et quelques amis qui peuvent venir à la maison, et de créer une œuvre nouvelle alors qu’elle n’a rien de nouveau. il ne s’agit que de gif et de mp3 de choses qui ont été maquettées ou composées il y a des décennies. Mais le simple fait de le faire pour le partager à des millions d’yeux potentiels (les stats d’over-blog me disent moins, ça m’étonne ^^) crée quelque chose de neuf : comment des vieilleries peuvent elles être aussi modernes et se confronter à des techniques de pointe ?
Ma rétromania n’est donc pas guérissable, puisque les premiers disques que je passais quand j’avais 7 ans (pour autant que je m’en souvienne) étaient sur le Teppaz de ma mère.
Teppaz qui est installé dans une petite loge de mes étagères, à 1,2 m de moi, autel du passé pour une démarche culturelle que je trouve résolument moderne.
“Si l’on insiste, c’est qu’on vient de refermer un des quelques livres, pas si nombreux, qu’on aurait fantasmé d’écrire nous-même.” C’est sympa de parler comme ça de mon livre… ;-)
Oh, allez, j’déconne…
Bel article en tout cas qui me donne fort envie de lire ce livre dès février.
Et, oui, je suis entièrement d’accord : Le mot et le reste assurent et livrent régulièrement de très beaux bouquins… même s’ils n’ont pas publié Songbook… ;-)
j’attendais ce comm :-)
je n’ai pas évoqué tout le contenu du livre, et tu as bien raison de souligner que ce n’est pas qu’une question de nostalgie,
d’ailleurs l’hantologie (mais pas que ce mouvement, qui n’en est pas vraiment un), va dans le sens que tu dis
@ ska, le tien aussi j’aurais aimé l’écrire, mais il te ressemble et c’est encore mieux comme ça (et je pense qu’il aurait pu intéresser un éditeur de métier)
pas grand chose à dire, mais je salue l’article que j’ai trouvé très intéressant :-)
Tiens, si. juste pour dire que sont sans doute très différentes la nostalgie des choses de notre enfance ou d’une époque fantasmée, où on s’attache moins à la qualité de la chose, qu’à ce qu’elle nous évoque. Et d’un autre côté, la démarche de découvrir de la musique du passé, qu’on a pas pu connaitre au moment où elle était créé. Ou de la musique du passé d’autres régions qui n’était pas accessibles. Le propre de la musique de qualité est de bien vieillir, et de la musique géniale d’être même intemporel. Est-ce être rétro pour un interprète de jouer du Bach ou du Mozart? Et être influencé par la bonne musique, est-ce rétro? Car la SF, si elle se projette dans le futur, parle bien du présent. Et de même, la musique rétro comme un roman historique, parle toujours de son temps.
Dans l’idée de rétro, il y a l’idée péjorative de refaire (en moins bien) ce qui a déjà été fait. Après, tout ce qui concerne le travail d’archive, de mémoire, de découverte, c’est super, c’est mille fois mieux que l’amnésie!
Oui, sauf que l’amnésie consentie est aussi, peut-être et malheureusement, le futur inquiétant qui, en matière culturelle, nous attend…
Je pense précisément à tous ces débats très compliqués aujourd’hui - en matière de cinéma - pour assurer la pérennité des œuvres dites “de patrimoine” (et même au-delà) à l’ère du numérique et de la probable disparition du 35mm… Mais on s’éloigne là de la musique…
Reste que je suis assez pessimiste tant - et, là, ça vaut aussi pour la musique - une œuvre chasse l’autre…
Avoir la mémoire courte, c’est ce dont il faudra vraiment se méfier dans les années à venir…
ah, merci, vous, nous emmenez sur des terrains passionnants :-)
boebis, Bach entendait d’abord faire une belle musique, il me semble, mais même dans le registre “musique savante” tout le 20e siècle dès son début est jalonné d’avant-garde revendiquées, donc la volonté d’être moderne est bien là, de coller à son époque, comme Dos Passos en littérature,
donc, ma première pensée spontanée était fausse,
car j’ai d’abord pensé : la pop c’est pas pareil, et le rock encore moins, c’est un surgissement du présent et contre les aprents donc ça n’est pas positionné pareil. Sauf que ça ne marche pas des masses, quand on lit “the rest is noise” d’alex ross on réalise que le jazz, le “classique” ont aussi connu ces mêmes querelles.
C’est là que je dois rendre justice à Reynolds, il parle de la musique bien sûr, mais là où on verse dans le rétro c’est quand on fait des pochettes qui donnent l’impression d’avoir été faites 30 ans plus tôt, idem pour les clips (celui de Video games de Lana del rey, bon exemple), les vêtements…
Là, on cherche à recréer un tout, ou du moins à se connecter à une époque, et pas seulement à parler d’oeuvre à oeuvre, et on peut parler de nostalgie. Se cultiver, c’est autre chose.
Ska, tu me la coupes donc rien à ajouter ^^
je vais sans doute faire un petit edit, pour ajouter ce point que j’avais en tête :
certains d’entre vous se souviendront peut-être des duo virtuels qui ont sévi dans les années 90, une horreur absolue, d’un mauvais goût atroce, qui a permis à mauranne (? je suis plus certain) de chanter en duo avec Piaf (l’horreur vous dis-je),
ou dans le genre nécrophile, à Natalie Cole de chanter “unforgettable” avec son père.
c’est glauque, ok, mais c’est aussi un exemple du dernier cri de la technologie mise au service de la nostalgie, pour le coup
Et aussi l’hologramme d’Elvis qui donne un concert dans le même registre, non ?
gloups, j’avais oublié cette inanité o_X
c’est exactement ça stéphane
J’aime bien aussi, dans le genre, les groupes-clones qui font un spectacle imitant très précisément, et sans ironie aucune, ceux des Queen, Pink Floyd ou Genesis de la grande époque. Ça me fascine. Je ne comprends pas comment on peut, en tant que fan, rentrer là-dedans, faire “comme si”… À titre personnel, je préfère regarder une captation de l’époque en DVD…
Reynolds parle pas mal de ces “tribute bands”, le plus célèbre étant les “pink floyd australiens” ^^
J’aime beaucoup les tribute bands qui rejouent à la note près le mythique festival punk de Mont de Marsan en 76 celui de 77 était trop facile)
Je n’étais pas passé depuis un moment chez toi, et je ne viens que maintenant de découvrir cet excellent article ! (et ça fait d’autant plus plaisir d’y être cité.)
Le sujet t’a particulièrement inspiré, je n’ai pas grand chose à ajouter… si ce n’est que dans le classique, le revival existe depuis longtemps, le début du XX° siècle, avec des oeuvres créées dans le style classique (courant néo-classique), la “symphonie classique” de Prokofiev en étant un très bon exemple (même s’il place quelques harmonies et modulations plus modernes), ou Pulcinella de Stravinsky… et dans le jazz, il y a eu un revival New-orleans dès les années 40-50… mais la grande différence entre ces revivals classiques puis jazz, et celui de la pop dans les années 2000, c’est que classique et jazz se complexifiaient tellement à ce moment de leur histoire qu’ils laissaient les auditeurs “lambdas” sur le bord de la route, il y avait donc une attente d’un public moins aventureux qui ne désirait pas s’engager dans cette voie très “pointue”… c’était aussi une réaction de certains musiciens qui privilégiaient une forme “d’universalité” à la modernité élitiste…
Malheureusement, les revivals pop, rock, électro des années 2000 ne sont pas vraiment une “réaction” contre un genre qui deviendrait trop exigeant, mais témoignent, à mon sens, bien plus d’un certain manque d’inspiration, d’audace, de volonté de faire bouger les choses…
Schoenberg vs Stravinsky, selon Adorno qui, il y a plus d’un demi-siècle dans Philosophie de la Nouvelle Musique n’avait pas de mots assez durs sur les “revivals” classiques (mais bon, je ne pense pas que beaucoup des groupes actuels aient lu Adorno^^)
merci GT ^^
j’ai hâte de finir Le Matin des Magiciens pour attaquer Retromania car je ne suis pas d’accord avec la thèse de départ sur l’idée que ce serait quelque chose de nouveau qu’il y ai rien de nouveau (si je résume en tout cas)
je crois qu’on peut prendre la chose par les deux bouts en tout cas:
- est-ce que la nouveauté est une nécessité pour la musique? et où se situe-t-elle?
- est-ce qu’il y a effectivement rien de nouveau, et est-ce nouveau qu’il y ai rien de nouveau?
dans les deux cas ça mérite réflexion, j’ai hâte de me plonger dans le livre et me faire ma propre idée
j’avais lu “rip it up” et je l’ai beaucoup aimé, mais j’ai aussi souvenir que l’auteur était assez obsédé par l’idée de nouveauté et, quelque part il accréditait cette thèse souvent entendu que le punk était surtout intéressant parce qu’il avait servit de catalyseur au post-punk…
enfin bref des “revivalismes” en musique pop n’ont rien de nouveau, il y en a depuis les années 60s et certains genres se sont construit en réinterprétant le passé, par exemple les chants traditionnels dans le folk-rock
toujours intéressant de voir que dans le psychédélisme qui fait parti des années glorieuses du modernisme en musique il semblerait, les gens se soient inspirées de formes artistiques millénaires ou traditionnelles prises dans les musiques orientales ou occidentales
et comme réaction au psychédélisme on a eu le country-rock qui revendiquait des valeurs déjà “réac” à l’époque…
enfin mon message est confus mais en tant que fan “retro” aussi bien au niveau de musique ancienne qui me passionne que de cette musique pop “bourgeoise” actuelle se servant du passé pour mieux explorer le présent, j’ai beaucoup d’intérêt à lire quelque chose sur le sujet, et de questions bien sûrs
en tout cas j’ai trouvé l’article sur le garage rock dans le numéro de noise de décembre admirable, et il dit exactement la même chose que moi, je me suis senti moins con d’avoir l’impression qu’il se passe quelque chose d’excitant et que beaucoup de gens sont en train de le rater
tu n’es pas confus alex,
je suis plus près de reynolds dans ses regrets,
mais il assume ouvertement d’écouter beaucoup de rétro, à commencer par Ariel Pink dont il est fan,
il décrypte aussi, comme tu le dis, que les revival et la référence au passé n’ont rien de nouveau,
ce qu’il ajoute à tout cela c’est un propos sur la société, plus général, on baigne dans le passé à un point assez extrême,
le regretter ou non est une affaire personnelle :-)
Je ne vois pas le revivalisme comme quelque chose de négatif, si c’est pas du revivalisme stricte
au contraire parfois on peut à partir d’une idée déjà existante faire autre chose
je pense juste que le rock est une musique qui a le passé inscrit dans ses gênes et qu’il ne faut pas y voir du mal si la musique a une couleur rétro
la volonté d’aller en “avant” dans le rock a donné (entre autre chose) le rock progressif, ça fait réfléchir
le fait est que je suis OK pour dire que le seul problème de notre époque c’est le manque d’un courant “emblématique” dans le rock pour aller tacler le grand public, mais au niveau underground ça bouge énormément et c’est vraiment passionnant
je crois que c’est pas non plus la première fois qu’il y a pas de courant “emblématique” pour porter le rock au delà des initiés, dans les années 80 c’était sensiblement la même chose même si l’on peut considérer les Smiths et REM comme de bonnes locomotives!
enfin c’est compliqué faut que je lise ce livre avec un calepin pour prendre des notes, en tout cas je suis allé voir les trois références aux Byrds et elles ne disent pas la même chose que moi
et je pense aussi que “le progrès” est un culte dont on va revenir en particulier en matière artistique, parfois on ne fait que réinventer la roue, et parfois c’est plus “couillu” de retourner vers ses racines que de chercher un modernisme à tout prix
tout est une question de fraîcheur j’imagine
en plus de ton calepin, tu as aussi le blog de Reynolds associé au bouquin, avec plein de compléments, de docs, de vidéos…
en tout cas vu que tu as plein d’idées sur le sujet le livre devrait vraiment t’intéresser, même quand on n’est pas d’accord il ouvre plein de pistes de réflexion :-)
oui je pense que le livre va beaucoup m’intéresser, j’ai hâte de m’y mettre, j’attends juste d’avoir fini le livre que je suis en train de lire, sinon je risque de m’y perdre en route!
j’irai voir ce blog également