Ouragan sur le Caine
Il existe en anglais une périphrase assez mignone pour désigner les gros mots : “four letter words”.
C’est un peu comme ça que j’ai fait connaissance avec un fabuleux compositeur. Il y a une douzaine d’années, après avoir trippé comme un malade sur The sound gallery (déjà évoqué ici), compilation easy listening unanymement célébrée, je me suis rué sur ce qui pouvait en être le prolongement : the sound spectrum. Cette autre compil, excellente, éditée par les anglais Pye, comportait 4 titres issus de la même bande originale : Get Carter.
Une BO signée par Roy Budd, dont les compilateurs Martin Green et Patrick Whitaker avaient extrait notamment une chanson du film, Love is a four letter word. Ca sent le swinging London a plein nez, en soi c’est pas la meilleure pop que j’aie jamais entendu, mais c’est bon. Cette compilation a eu un effet durable, en remettant au goût du jour la musique de ce film. Campus, de Guillaume Durand, a beaucoup utilisé le thème du film pour son générique. Et on le comprend.
Ces tablas imperturbables, cette contrebasse sûre d’elle et bien posée, ce son synthétique de clavecin qui vous sort du temps, ces envolées de piano qui accélèrent l’ensemble, sont un vrai régal. Roy Budd, pianiste talentueux, est mort assez jeune en 1993, mais de toute façon c’est dans sa jeunesse qu’il a marqué les esprits. De ses nombreuses musiques de film j’en évoque seulement 2 aujourd’hui.
La BO est un exercice dont on s’acquitte de différentes manières. Soit on impose un même traitement musical à l’ensemble, ce que fait un Antoine Duhamel dans un registre classique ou un Miles Davis pour Ascenseur pour l’échafaud. Soit on compose avec d’un côté une identité forte, mais avec des apartés qui illustent des scènes spécifiques. On se trouve alors, en dehors de la musique “d’ambiance” (j’aime pas beaucoup l’expression mais elle est parfois parlante), avec des jerks ou des ballades qui tranchent sur le reste, pour mieux coller à une scène de bar, un contrechamp décalé, etc.
Souvent, dans les musiques de film, on retrouve d’un côté des instrumentaux pour l’ambiance, et des chansons our ces scènes particulières. Roy budd s’émancipe de ce code un peu planplan, en nous donnant pas mal de chansons. Les parties qu’il offre au choeur féminin sont à croquer. Voilà un anglais qui a retenu les meilleurs leçons des génies que sont Burt Bacharach ou Henri Mancini. Il ajoute à d’excellentes mélodies un sens très sûr de l’instrumentation. au point de faire passer comme une lettre à la poste des changements complets de style en cours de morceau, pour retomber sur ses pieds comme un chat. Finesse et élégance le caractérisent, ce qui explique le choix de mes comparaisons.
Tablas, congas, orgue, trahissent évidemment une époque : le film est de 1971. Mais peu importe.
A la limite, que ce soit Love is a 4 letter word, ou Livin’ should be this way, on est plus dans un son à la Yardbirds ou Small faces, pas très en avance pour l’année du film mais avec dureté qui reste rare dans le son de ces années.
Get Carter, qui na rien à voir avec le poussif remake avec Stallone, est un EXCELLENT film, âpre, un peu méchant, rapeux comme tout. Ce que j’ignorais en découvrant sa BO, c’est que c’est un étalon du polar pour le public anglo-américain. Curieusement, le film n’a eu aucune postérité en France (où il fut projeté sous le titre La loi du milieu), et je n’ai d’ailleurs pu trouver à l’époque qu’un dvd sans sous-titres français, en import.
Carter, joué par Michael Caine au faite de sa carrière, est un tueur, un porte-flingue du milieu londonien, revenu dans sa ville natale du nord pour un enterrement qui en appelle d’autres. Histoire classique, et comme souvent dans le polar, c’est le ton, l’ambiance, qui sont ses qualités majeures. Et une BO de grande classe, que les connaisseurs s’arrachent. Le thème du film couvre le long générique durant lequel Carter rejoint en train le nord du pays. On est tout de suite dans l’ambiance, poisseuse à souhait. L’écoute de la BO seule rend un peu différemment, elle est plus léchée, moins nerveuse que le film. Elle arrondit les angles.
Michael Caine, on le retrouve encore en premier rôle d’un polar passé inaperçu en France, the black windmill. Je n’ai pas vu le film, et le morceau langoureux préparé par Roy Budd ne fait pas tellement envie. Mais c’est à peine un interlude d’une trentaine de secondes. Le reste est autrement intéressant. La distribution est même très alléchante, Don Siegel à la réalisation, filmant Caine, Donald Pleasance, Delphine Seyrig. Il est sorti en 1974, sous le titre français Contre une poignée de diamants.
Pas de chansons ici, certes un thème jazz pour une ambiance de bar, mais le reste renvoie plus à Lalo Schiffrin, à ses riffs scandés par la main gauche du pianiste, à sa batterie mate, et ses cuivres rutilants. Mais la patte de Roy Budd est bien présente, toujours avec le même talent d’orchestration, un son très travaillé, et des sonorités originales. Un très beau travail une fois encore. Et quelles lignes de contrebasse, là encore! Cette BO est moins trendy que celle de Get Carter, mais elle a au moins autant d’atouts musicaux, elle ne peut qu’enthousiasmer un amateur de musiques de film. J’adore ce disque. En cliquant sur les pochettes des disques le lien vous permet d’entendre plusieurs titres, notamment l’excellent the plant.
Je vous parlerai une autre fois d’autres BO de Roy Budd, probablement The Marseille contract ou d’autres. Dans les années qui ont suivi la sortie de the sound spectrum, Roy Budd a vu plusieurs de ses BO rééditées et parfois même remixées. Mon pressage vinyl de the Black windmill est d’ailleurs d’excellente qualité.