More than 30 seconds if you please : Marie-Flore de mille feux
Ils ont l’air malin, tiens, le NME. Eux qui listent les 50 nouvelles personnalités à suivre dans la musique, les pauvres se ridiculisent en oubliant Marie-Flore. Uh uh, permettez que je me gausse.
Car s’il y a bien une artiste à suivre, qui trace sa route avec talent, intelligence, et témérité, c’est Marie-Flore. Une jeune pousse de 20 ans déjà fort aguerrie à la scène, et qui régale un public de connaisseurs de son répertoire chaque jour un peu plus vaste.
Moi qui cherchais un candidat au titre de disque de l’année, en voici un qui s’impose de lui-même.
A l’occasion de la sortie de son EP More than thirty seconds if you please, Marie-Flore nous a accordé une belle interview à lire et écouter ici.
Mais parlons du disque !
Il sort en septembre en cd et en digital sur Idolweb. Et c’est un disque plein, un disque qu’on met plusieurs écoutes à apprivoiser tant il est riche, au point qu’on l’aime un peu plus à cinquième, à la dixième, à la trentième écoute…
Jusqu’ici, il fallait se déplacer en concert pour entendre les chansons de Marie-Flore, qu’elle fabrique de A à Z et qu’elle interprète avec une justesse et un charme à rendre jalouses les plus célèbres. Un 45t était bien paru, sur un petit label anglais, mais depuis, rien. Préférant que les choses se fassent comme elles se doivent, plutôt que de faire le porte à porte des labels, Marie-Flore avance seule ou presque, dans un monde où tout coûte un bras, de l’enregistrement à la promo, et où les premières parties rapportent peu. Un choix assumé et gonflé, qui dénote une maturité précoce.
Ceux qui l’ont vue ouvrir pour Peter Von Poehl, pour Monade, pour Mark Lanegan et Isobel Campbell… sont ressortis avec dix lettres tatouées aux lèvres : Marie-Flore.
La plus belle voix actuelle du paysage français est même réclamée jusqu’à Philadelphie où Gregg Foreman a monté un trio autour d’elle, les Rare birds.
Le disque qui sort ces jours-ci est un peu le carnet d’étape de ce passionnant voyage. Un disque touffu et formidablement riche malgré “seulement” 8 titres. Un disque dont on ne prend la mesure qu’avec la répétition des écoutes, et auquel on devient rapidement tellement accro qu’il nous faut des prises quotidiennes répétées.
Contraintes de l’auto-production oblige, il a été enregistré en plusieurs fois. More than thirty seconds if you please n’est donc pas un album, mais bien un copieux “EP”, sorte de mini-compilation de quelques moments de ce début de carrière. Ici, chaque chanson a sa vie, son histoire, sa chronologie aussi, car elles ont été enregistrées à différents moments dans différents contextes. Malgré de menues maladresses de production, une entrée de choeurs sur un titre, le mix de la batterie sur un autre, tout est déjà là, des morceaux qu’on garde en mémoire, dotés d’une vraie personnalité.
On y trouve donc Half past three et Empty walls, repris du 45 tours. Deux bijoux de langueur acidulée, perdus aux heures grises de la nuit. On y trouve aussi The soft divide des Rare birds, magnifiée par Marie-Flore, où paradoxalement on peut l’entendre pour la première fois en français, plus sexy que jamais. Elle qui, justement, ne cède jamais au jeu de la séduction.
Interprète subtile, voix incroyable, Marie-Flore est pourtant avant tout une songwriter. Ceux qui connaissent bien les sublimes versions live de ses morceaux seront même surpris -désarçonnés? - de les retrouver ici si différents. Plus arrangés, avec plus de puissance.
Pas surprenant alors qu’elle soit si demandée, comme sur l’album de Séverin qui sort ces jours-ci. Ou comme les sessions acoustiques qu’elle a fait pour arbobo.fr, pour le Hiboo, le Cargo, Froggy’s delight. Ajoutez quelques dizaines de concerts qui ont frappé les mémoires, et on devine que ce disque sort au bon moment, quand Marie-Flore a déjà fait ses preuves.
Rien de mieux que ce disque pour faire mentir une étiquette “folk” à laquelle Marie-Flore peine à échapper (syndrome de Pavlov à la vue d’une fille en formule guitare/voix). Elle crée son propre hybride rock, un rock recomposé dans lequel elle nous donne des morceaux en embuscade. Marie-Flore pratique le faux-semblant avec brio.
Sous la douceur de ce chant rentré à la Feist ou Chan Marshall, elle distille des paroles dures, taillées sec à l’abri des clichés. Derrière des mélodies apparemment simples, aussi instantanées que des ritournelles pop, elle construit des morceaux audacieux. Inutile de chercher ici la traditionnelle formule intro-couplet-refrain-couplet-pont-refain, inusable depuis la nuit des temps.
Twist me round your little finger, par exemple, débute par une intro, puis alterne des couplets reliés par de minis “ponts”, sans refrain, avant de basculer pour la deuxième moitié du morceau dans une longue coda chantée sans paroles. Même son jeu de guitare, un déroutant et brillant picking d’autodidacte, ne ressemble à personne.
Et si d’aventure elle croise sans le savoir le pas des autres (Dizzy et son motif comme déjà entendu chez Keren Ann), c’est sans malice et toujours sur le chemin d’une constante quête formelle. Si l’on a tant de mal à classer Marie-Flore, c’est qu’elle allie les contraire, l’évidence mélodique pop, l’énergie d’un rock rêche et direct, et la recherche expérimentale.
Combien de songwriter sont capables de nous offrir dès leur premier disque des bijoux comme Trapdoor, Half past three, ou Sweet to the taste?
Marie-Flore nous laisse à court de superlatifs, et notre bonheur de repasser son disque en boucle est à la hauteur de son talent : immense.
La qualité de cet article est à la hauteur de ce qu’on ressent en écoutant le premier disque de Marie Flore : somptueux ! On en redemande déjà… précipitez-vous à son prochain concert !
… et achetez absolument ce disque !
L’Ep de l’année sans aucun doute, son premier opus pourrait bien être le chez-d’oeuvre que la France attends depuis longtemps.