Lydia Lunch : déséquilibres synthétiques
En véritable artiste underground, Lydia Lunch publie livres et disques à un rythme incompatible avec l’économie des majors et des grandes tournées-promo.
Cette année c’est un recueil, Déséquilibres synthétiques, dont le Diable Vauvert présente une traduction. Un recueil en quatre parties qui permet de mesurer mieux encore l’étendue de sa palette.
On connait des rockers auteurs voire écrivains, Yves Simon chez nous, Lou Reed ou Leonard Cohen en Amérique, ou Nick Cave l’australien exilé à Londres. Poèmes, romans, essais… autant de genres auxquels Lydia Lunch, panthère rock, figure de souffre et de sang, ne s’est pas frottée. Et c’est tant mieux car Lydia ne ressemble à personne, pas plus que son oeuvre.
La chance de ce livre, c’est de ne pas nous faire perdre à la traduction. Féministe, et pas qu’un peu, Lydia Lunch a laissé le soin à son amie Virginie Despentes de tenir les rênes de cette traduction. Deux rockeuses à leur manière, réprouvrées et admirées, mais Despentes a partagé ce travail avec Busty, et avec Wendy Delorme, figure underground elle-aussi, solide chercheuse en même temps que performeuse à l’assaut des tabous.
Ceux qui ont lu Paradoxia, ou qui la connaissent depuis longtemps, ne seront pas forcément surpris par la première partie, qu’ils soupçonnaient. Quelques pans d’autobiographie, allers-retours aux enfers qui laissent sans voix.
Cette première partie est le trait d’union qui prolonge Paradoxia, et ouvre vers d’autres modes d’expression. C’est là la surprise, de découvrir que ce n’est peut-être pas dans le récit de soi que Lydia Lunch donne le plus d’elle-même.
La deuxième partie est la plus ouvertement féministe, dans ce qui resteront les rares exemples d’incursions de Lunch dans le registre de l’essai. Lunch brouille souvent les frontières, surtout lorsque c’est d’elle qu’il s’agit.
Justement la troisième partie mélange souvenirs et évocations, et personnages inventés. A la frontière du réel, du personnel, de l’invention, comme pouvaient l’être ses films avec Richard Kern ou certaines de ses chansons. Le coeur du livre est là, La bête, un texte entre portrait et nouvelle dont on termine la lecture hébété et flippé, incrédule que des êtres parviennent à survivre à de telles histoires. La bête, a.k.a Bradley Field, batteur de Teenage Jesus, drogué jusqu’à la moelle, détraqué en détresse, tellement exemplaire des pointures hors norme qui peuplent l’existence de Lydia Lunch.
Au point qu’on est surpris de la quatrième et dernière partie, ces entretiens avec des artistes, Selby en particulier, qui lèvent un coin de voile sur une autre Lydia. Une artiste pas si egocentrique, qui sait se reconnaître admiratrice, bien plus sociable que son personnage de fauve inapprochable ne le laisse croire.
Pierre brute mais à multiples facettes, telle est Lydia Lunch, tel est ce livre. Un livre pour gueuler et chialer, pour réfléchir et s’énerver, pour découvrir aussi, parce qu’elle est une femme curieuse et avide de vie et de rencontres. Mais ce n’est pas tout. “Je suis le juge, le jury, l’accusé et la victime”. Cette phrase de la postface résume tout, la violence qui anime Lydia Lunch et les racines de cette violence, la générosité qui l’anime, sa part d’autodestruction aussi, dont son instinct de survie a toujours triomphé. Une femme qui ne doit rien à personne, si ce n’est ses blessures, et qui ne renoncera jamais à son indépendance, quoi qu’il en coûte. Avec toujours pour arme principale une sincérité et une franchise dont on ne connaît aucun équivalent.
Déséquilibres synthétiques est paru en mars 2010.
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