Lissy Trullie, elle existe aussi en VF (interview)
La voilà, la traduction de l’interview de Lissy Trullie que vous pouvez néanmoins écouter ici, accompagnée de toutes les photos de Chrystèle. A ne pas manquer !
On fait la conversation pendant qu’on est en train de dépatouiller les fils, les machins et les trucs. Bref, l’enregistreur n’est pas encore enclenché qu’on s’entend lui demander si elle a délibérément évité de signer sur une major, alors qu’elle bénéficiait d’une visibilité qui aurait pu faciliter les choses.
Pourquoi aller sur Wichita, un label indépendant ?
Tu vas dans une major, tu rencontres des gens qui ne te donnent pas l’impression d’être directeurs artistiques et tu ne sais même pas ce qu’ils font, tu ne sais pas qui est le patron, et il y a tellement de monde… Richard fonctionne de manière très familiale, et Mark Bowen qui est le propriétaire du label est toujours présent, il te soutient énormément, il reste en contact avec toi.
J’avais l’impression que tu étais hyper new yorkaise, d’après ce que je lisais. Mais ta musique sonne très anglaise, parfois même inspirée par les Smiths (Boy boy).
Gamine, j’étais une fan des Smith. Je pense que TOUT-LE-MONDE devrait passer par une phase de fan des Smiths jusqu’au bout des ongles. Moi je non plus je ne trouve pas que ça sonne très New York. Je ne sais pas si c’est plus anglais pour autant, je ne suis pas certaine. C’est difficile pour la personne qui fait la musique de saisir comment elle est perçue par les autres.
Tu es, ou tu es sur le point d’être produite par Bernard Butler (fondateur de Suede).
Qui est britannique.
Et ça s’entend, il sonne très anglais
(rire) Oui, carrément. On a rencontré des producteurs d’un peu partout, de France, du Royaume Uni, d’Amérique. Il a trouvé les mots justes, on était sur la même longueur d’ondes. Sa musique est très anglaise, mais pour ses sources d’inspiration je ne sais pas.
Tu as été photographiée par Richard Kern, qui dans les années 1980 était très impliqué dans la scène underground new yorkaise, Sonic youth, Lydia Lunch. Tu te sens liée à cette scène underground ?
Un peu. En fait c’est surtout lié au fait que nous vivons tous dans la même ville, il n’est pas rare d’aller quelque part et d’y croiser Thurston Moore ou Kim Gordon. Quand j’étais étudiante j’étais dans un groupe un peu arty, noisy, et nous avons fait la première partie de Thruston dans une galerie une fois. C’était intimidant, c’est le moins qu’on puisse dire. La musique n’était pas terrible (rire).
C’est ce qui se passe dans une ville, tu finis par croiser certaines personnes, et Sonic youth, je les ai écoutés des masses de fois quand j’étais gosse. D’une certaine manière, tu finis pas te trouver nez à nez avec tes héros. Du coup je ne sais pas si je peux me dire « liée », ou alors par défaut peut-être.
Pour rester sur New York, il y a cette chanson avec Adam Green, qui a été filmée… dans des toilettes publiques ?
Nooon, pas des toilettes publiques (rires) ! Des toilettes privées, dans les coulisses d’une salle à New York, Santo’s.
C’est un très joli moment en tout cas. La chanson de Biz Markie que vous reprenez semble presque avoir été écrite par Lou Reed.
Oui. C’est un peu l’inspiration de la chanson, je pense, mais c’est aussi lié à la voix d’Adam, la manière dont il la chante. Un peu à la Lou Reed, un peu à la Leonard Cohen, aussi.
Cette voix grave, profonde, qui est la tienne, elle colle bien à ton look, souvent décrit comme androgyne. Mais je me demandais aussi si d’avoir été mannequin t’avait incité à te créer un personnage.
Naaaaaaan (sourire). Je ne crois pas que le mannequinat y soit pour quelque chose. J’ai toujours eu un côté un peu garçon manqué, depuis toute petite. Le milieu de la mode a aimé ce côté là de mon allure. Mais ça n’a rien d’artificiel ou une idée que j’aurais eue de chercher à paraître androgyne.
Mais est-ce qu’en dehors de ça il y a une dimension « personnage », sur la manière d’être sur scène par exemple ?
Un peu, un petit peu. Pour toute personne qui chante ou joue dans un groupe. Quand j’ai commencé je n’avais pas mesuré ça au début, qu’il faut donner une « performance », on ne peut pas juste se lever et jouer. Tu entres dans un territoire où il va de paire de présenter un certain personnage. Mais je ne crois pas que ce personnage soit très éloigné de moi. C’est moi, en juste un peu plus « vocale » sur scène, moins timide et silencieuse que dans la vraie vie.
Justement être sur scène, jouer de la guitare, comment tu le ressens physique, émotionnellement ?
C’est une bonne sensation. Quand on fait un bon concert, je me sens vraiment super bien. Au début j’étais terrifiée de faire ça, c’est sûr. Mais quand tu as pris confiance, que tu as confiance dans ton groupe, dans la musique que tu joues, les fans répondent positivement. C’est vraiment de bonnes sensations. Enfin, j’espère que ce ne sera pas un mauvais concert ce soir (rires), mais si c’est un bon concert c’est génial.
On parlait de cette reprise de Biz Markie, à une époque tu reprenais aussi Rehab d’Amy Winehouse, tu en as une de Hot Chip sur le EP (ready for the floor). Quand tu joues une reprise, c’est forcément en lieu et place d’un morceau à toi. Ca n’a pas l’air de te frustrer spécialement, tu n’y mets pas un ego démesuré.
Je ne crois pas. D’ailleurs j’ai joué plus de reprises que ces 3 là. D’abord, je voulais jouer des reprises parce que quand tu débutes, le public n’a aucune idée de qui tu es, ça permet de briser la glace, de leur donner quelque chose qu’ils connaissent. Ils se disent « oh, sympa », ils peuvent même reprendre les paroles, ils ne sont pas uniquement en train de regarder ce groupe pour la première fois de leur vie, se sentant un peu bizarres et le groupe aussi se sentant bizarre.
C’est aussi rassurant, tu veux dire ?
C’est sympa, c’est plus marrant pour tout le monde. Plutôt que de sentir un mur entre toi et le public.
On va parler de tes chansons, maintenant (rires). Elles sont élaborées, ce n’est pas juste une succession de couplet/refrain/couplet, mais elles gardent un côté très direct malgré tout.
Et c’est délibéré. Je n’ai pas envie de faire une musique « exclusive ». Je n’ai pas envie que le public se sente tenu à l’écart, parce qu’il ne comprendrait pas, ou que ce serait trop bizarre, trop barré. Mais pas non plus un public qui aime se sentir exclusif, qui aime se sentir plus « spécial » que le commun des mortels. Je n’ai pas envie d’alimenter ce genre de divertissement. Même si j’aime écouter des trucs qui sont totalement barrés et zarbi, c’est génial aussi. Ma musique vient d’une certaine conception du songwriting, plus traditionnelle. Ce qui les rend plus directes d’accès.
Tu dis « traditionnelle », mais par moment j’ai pensé à Frank Black/Black Francis, qui met des dizaines d’idées dans une seule chanson. Dans Boy boy, la chanson change de forme 3 fois rien que dans les 25 premières secondes.
(Rires) Exactement. Mais ça reste direct, accessible. Ca change, mais sans se placer au-dessus des gens, genre incompréhensible. Frank Black est fabuleux. Il a le talent de faire des chansons extrêmement riches, qui changent tout le temps, évoluent, mais va savoir pourquoi, tu n’as jamais l’impression d’écouter un truc qui t’échappe. Tu vois ce que je veux dire ?
Ses paroles ne sont pas très intimes, elles sont même ésotériques, tandis que les tiennes sont personnelles. En tout cas elles en donnent l’impression, elles nous racontent une histoire. Par exemple, à la manière dont je l’ai comprise, Self taugh learner parle de la perte de la virginité.
Non (sourire horrifié). Absolument pas, non non non. Mais c’est marrant. C’est probablement la chanson la plus personnelle que j’aie jamais écrite. Elle est triste, cela parle d’un ami qui est mort (rire bienveillant). Mais ce que tu viens de dire l’aurait fait rire. C’est ce que j’ai fait de plus intime. Mais en même temps je ne veux pas venir d’un endroit que les gens ne comprennent pas, je préfère que les paroles restent un peu plus universelles. Plutôt que “c’est ma vie et tu peux pas comprendre” (elle mime la voix de l’artiste incompris). Ca ne m’intéresse pas.
Self taught learner est aussi le titre que tu as retenu pour le EP. J’y ai vu une sorte de déclaration, au-delà de la musique.
C’en est une. J’ai donné ce titre au EP parce que c’est ma chanson préférée, tout bêtement. J’en suis fière, j’aime cette chanson. Mais ce titre renvoie aussi à cet ami dont je parlais à l’instant. Lui aussi était un gosse très calme, vraiment artiste, et nous étions très proches. Toute notre méthode pour grandir, nos idéaux, tout, étaient sans vraies influences. Nous étions dans des écoles catholiques très conservatrices, alors nous devions nous débrouiller seuls pour développer nos goûts musicaux, artistiques. Nous avons fait cette éducation par nous-mêmes, d’où ce titre, “appris par moi-même”.
La chanson You bleed you mélange deux styles, deux rythmes différents. Ces breaks, cet effet de surprise sur l’auditeur, est quelque chose que tu utilises souvent.
S’il y a une chose que je peux dire de ce qui m’influence vraiment, quand il s’agit d’écriture, en particulier quand j’ai écrit un morceau et que le groupe est réuni et que je dirige ce qui se passe, c’est que la section rythmique est super importante pour moi. Va savoir pourquoi, ça m’excite vraiment, le rythme en général. J’aime cette idée de jouer avec le rythme, et de la changer, de changer constamment l’idée que tu t’es faite du rythme. C’est vrai sur Forget about it, et sur You bleed you. Je ne sais pas quelle version tu as entendue? Nous jouons une nouvelle version de You bleed you, on l’a réécrite en vue de l’album.
Il y a une histoire dans Forget about it. On voit deux caractères, le mec un peu branleur et mou qui baratine la fille sur l’amour, et le fille plus directe, plus les pieds sur terre.
Tu as saisi le truc, le contraste entre le mec feignant genre “on verra, laisse toi faire” et tout et tout, et en face “arrêtons de déconner”. C’est l’idée de la chanson. Je trouve que la partie “déconne pas” est la plus fun. C’était voulu en effet.
Donc tu as retrouvaillé des titres pour l’album. Et d’autres reprises?
Pas de reprise. Je crois que j’ai assez donné avec les reprises. Il devrait y avoir You bleed you, et peut-être une autre du EP, mais sinon, tout sera complètement neuf. On a enregistré, on a passé un mois à Londres.
Avec Bernard Butler?
Oui. Mais ce n’est pas terminé, il faut qu’on y retourne.
Merci Lissy !
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