L’invasion du profanateur : Space invader
Low-tech, revival 80s, electronica….
Tout ça à la fois. Depuis des années les murs de Paris sont rehaussés par une forme supérieure d’art sauvage : les mosaïques de space invader.
La première fois que j’ai vu un jeu vidéo de salon je devais avoir dans les 6-7ans, chez ma marraine. Console façon bois brun, mannette de jeu avec une longue tige et bouton rouge bien en évidence.
La console Atari était née. Et avec elle son jeu phare, “space invader”. Entre la Guerre des mondes et le morpion, le principe du jeu est simple : tu es en bas de l’écran, avec ta batterie DCA, et les vilains méchants golgoths arrivent de par en haut de l’écran et comme on dit dans South Park “oh mon dieu, ils foncent sur moi”. Alors tu tire, la survie de la planète est en jeu, quelle bonne excuse pour exploser tout ce qui bouge ;-)
Notre graphiste urbain anonyme a repris exactement le motif de ces invaders, avec leur dessin pixelisé tout carré. D’un même coup il regarde dans le passé, et crée un forme radicalement nouvelle d’invasion de l’espace urbain, après les tags, graphs, pochoirs, ou encore après les silhouettes blanches de Mesnager. J’adore.
Après avoir fait son trou dans la musique de jeunes, l’électronique vient les draguer au rayon jouets. Nous sommes dans les années 80, et je suis jeune (si si, j’ai des preuves). A la télé une pub passe sans cesse, et elle me rappelle drôlement capitaine Flam. Le jeu s’appelle Professeur Simon, il est tout bêtement fait de 4 bouts de plastique de couleurs différentes qui clignotent en faisant chacun une note. Une voix de crécelle nous engueule parce qu’on n’a pas bien fait et nous demande “essaie encore une fois”. De quoi je me mêle!
La nostalgie a ratrappé la musique, et en 2000 Pr Simon s’invite sur un album. Clin d’oeil de trentenaire, minimum complexe, 1er album de Cosmodrome, commence sur les sons simplistes d’un Simon épuisé. L’album est publié chez Gooom, qui est alors un jeune label français parmi les plus prometeurs et les plus à la pointe des musiques électro.
Même époque, mêmes références.
Le graph et les tags sont nés en lien direct avec une culture musicale, au tournant des années 70-80 ils sont partie intégrante de la culture hip-hop qui nait à New York. Avec Space invaders, on a enfin une expression visuelle urbaine qui colle à une musique actuelle et hors des grands réseaux de distribution. On pourra toujours me dire que c’est du recyclage, je trouve au contraire que c’est parfaitement moderne. Le hip-hop a longtemps utilisé exclusivement des samples de morceaux funk existants, ça n’en faisait pas une musique moins nouvelle et moderne pour autant.
Le parallèle avec le hip-hop s’arrête là. Les space invaders sont même l’exact contraire du tag. Comme l’expliquaient les premiers taggers des quartiers ghetto du Bronx ou de north Harlem : “je regarde passer mon nom”. En taggant les wagons de métro, d’une part on voyage par procuration, on acquiert une liberté de mouvement dont socialement et économiquement on est privé, et d’autre part on manifeste au monde son nom, son existence individuelle.
Rien de tout ça avec Space invader, sur son site on peut même acheter des kits pour en poser soi-même où l’on veut. Le design est, par nature, tellement schématique et reproductible que n’importe qui peut créer sa propre mosaïque et la poser, sans qu’on sache si elle l’a été par le Space invader originel ou par un imitateur. J’ai même vu dans Paris un space invader dessiné au marqueur sur un coin de mur. Il existe d’innombrables variations du dessin, mais il reste anonyme. Space invader, contrairement à Mesnager ou à Miss Tic, reste sans visage et sans signature. Son entreprise est destinée à être appropriée par tout le monde, elle est aux antipodes de la signature ultra-individualisée qu’est le tag. Une fois qu’on a réalisé cela, le choix de l’invasion comme motif et comme champ lexical prend tout son sens.
Les premiers space invaders ont envahi Paris en 1998. Déjà 8 ans. Plus récemment des américains ont repris en quelque sorte le même mécanisme mais sous une forme plus éphémère. Ce sont les led throwies (que j’ai découvert par un reportage dans Tracks). Le truc consiste à attacher sur une pile plate (une pile de montre) une ou des diodes, un aimant et pourquoi pas des éléments de déco supplémentaires. On peut les porter en bijou, mais le choix de l’aimant a un sens : on lance l’objet sur un bâtiment métallique, une sculpture, etc. Aucune dégradation. Durée de vie limitée à celle de la pile. Procédé simple à reproduire et à utiliser, et moins risqué que les space invaders (en 2 secondes l’objet est lancé, le risque de se faire arrêter par la police est nul). Avec plusieurs throwies on peut composer un motif ou un texte lumineux. Mais là encore les points communs avec les invaders sont limités, ces objets n’ont ni la puissance visuelle ni l’impact urbain des space invaders, et restent ludiques là où l’invasion conserve chez le premier une part de menace réelle.
Autant dire que les space invaders sont loin d’être dépassés, et plus le temps passe et plus leur multiplicaiton et leur durée de vie renforcent le sens de la démarche. Honnètement je suis fan.
Et puis les space invaders je le trouve beau. Vraiment. Que voulez-vous opposer à pareil argument? ;-D
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