L’art des bruits, de Luigi Russolo
La cause du futurisme est entendue. Ce courant artistique italien dominé par Marinetti, qui précéda de peu le dadaïsme (mais contrairement à ce dernier était férocement misogyne), est définitivement entaché par son adhésion au fascisme.
Mais c’est, comme toujours, un peu plus compliqué que cela, et Luigi Russolo, qui fut exclu du mouvement en 1921 en raison de son antifascisme, en était tout de même un vieux compagnon et y fut réadmis plus tard. Il reste exilé à Paris de 1927 à 1937 et meurt 10 ans plus tard en Italie.
Etonnant Luigi Russolo, et étonnant manifeste que son Art des bruits.
On peut lire l’art des bruits aux toujours excellentes éditions Allia. C’est un texte court, une lettre ouverte que Russolo envoie en 1913 à son ami le compositeur Balilla Pratella. Russolo est peintre, mais il a une intuition puissante qu’il soumet à son ami et inventeur de la musique futuriste.
Tous les éléments caractéristiques du futurisme sont là. A commencer par une charge violente et sans complexe contre la culture établie. Amour passionnel de la modernité, culte des machines et de la culture urbaine (fascination bien compréhensible à l’époque, et qui donnera des chefs-d’oeuvres littéraires comme Manhattan transfert de Dos Passos), quitte au passage à écrire avec assurance des vérités approximatives comme “l’Antiquité ne fut que silence” ou carrément “la nature est normalement silencieuse”.
Russolo comme tout futuriste est aussi attiré par la violence. D’où un ton qui a du faire sursauter plus d’un compo- siteur : “Y a-t-il quelque chose de plus ridicule au monde que vingt hommes qui s’acharnent à redoubler le miaulement plaintif d’un violon?” L’affaire est entendue, puisque de toute façon les salles de concerts sont devenues des “hôpitaux de sons anémiés” où suinte “l’ennui”. Energie, nouveauté, puissance, stimulation constante, rejet des traditions, et culte de la machine qui symbolise l’ère urbaine et industrielle. Le tableau est complet. Un tableau vitaliste : “le bruit nous est familier. Le bruit a le pouvoir de nous rappeler à la vie”. Rien que ça.
Russolo relève à juste titre que les compositeurs contemporains évoluent de plus en plus vers une intégration des dissonances dans leur travail. Il y voit une évolution vers ce qu’il appelle le “son-buit”. “Cette évolution de la musique est parallèle à la multiplication grandissante des machines”. Machines dont il s’inspire pour créer le “bruit musical”. Ils sont au coeur de “mon désir fou de créer enfin une véritable réalité musicale en distribuant à droite et à gauche de belles gifles sonores”.
Gifle ou pas, la manière dont il décrit les bruits urbains et industriels fait irrésistiblement penser au travail minuit et magnifique de Jacques Tati, où les bruits tiennent la place d’un acteur invisible.
Précurseur et inventeur, Russolo l’est sans conteste. Il a défini 6 catégories de bruits, dont la première correspond à “grondements, éclats, bruits d’eau tombante, bruits de plongeon, mugissements” (les sifflements sont dans la 2e, les stridences et craquements dans la 4e, etc.). A partir de ces catégories il va créer un orchestre futuriste, où “l’art des buits ne doit pas être limité à une simple reproduction imitative”. C’est en artiste que le musicien doit combiner ces bruits. Notamment, “le bruit se distingue du son par ses vibrations confuses et irrégulières”. Maic sous cette irrégularité on peut identifier “un ton, parfois aussi un accord qui domine”. Les instruments qu’il va créer reposent sur cette idée, partir d’un bruit et trouver comment en moduler la dominante. Chaque “bruiteur” de l’orchestre aura donc une fonction liée à un type de bruits et les instruments créés à leur effet : bourdonneur, éclateur, tonneur, bruisseur, stridenteur, glouglouteur…
Si Russolo en dit long sur l’esprit et la direction de son entreprise, la notice qui l’accom- pagne permet mieux d’en mesurer la portée.
Russolo est un pionnier, pas un illuminé sans influence. Comme il s’en explique dans son texte, le projet bruitiste implique la création d’instruments qui produisent ou reproduisent des bruits. D’où ces images étranges où il est entouré de caissons munis de cornets. Edgar Varèse lui a écrit pour exprimer son admiration du Russolophone, qui l’intéresse beaucoup. Présenté comme un piano, l’instrument va au-delà des pianos préparés que fera John Cage, les touches actionnent des bruits tous disparates, les uns métalliques les autres à partir de vaisselle brisée…
En 1921, c’est au théâtre des Champs Elysées qu’il propose 3 concerts dirigés par son frère. Le nom de certains spectateurs en dit long sur l’intérêt suscité par Russolo : Tzara, Stravinski, Ravel, De Falla, Mondrian (entre autres).
Russolo a aussi, d’après ce que je lis, inventé un type de notation musciale qui serait toujours utilisé par les compositeurs de musique électronique. Ca reste très vague pour moi et je ne désespère pas d’en avoir plus à vous dire sur la question une prochaine fois.