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Laetitia Sadier, Silencio : interview

par arbobo | imprimer | 17nov 2012

En couverture de son nouvel album, Laetitia Sadier, sur une photo un peu moins floue que pour l’album précédent, assume pleinement d’incarner sa musique en son propre nom.

Malgré le chemin parcouru, et ces disques qui commencent à bien remplir l’étagère (3 avec Monade, et déjà 2 albums sous son nom en plus d’un EP l’an dernier), sa musique reste fidèle à une ligne (Tim Gane est même présent, à la guitare). C’est donc avec bonheur qu’on retrouve sur Silencio non seulement la musicienne qu’on aime, mais aussi la parolière engagée, et une chanteuse qui s’autorise plus de fantaisies et de variations.

C’est dans cet exercice, le chant, que Silencio surprend, surtout dans Moi sans Zach où il se fait presque comique. Mais les choeurs de The rule of the game sont tout aussi saisissants.

On retrouve Laetitia par téléphone pour une nouvelle interview-fleuve, qu’elle a toujours la bonne grâce de nous accorder avec l’humilité qui la caractérise. Vous y retrouverez une Laetitia plus engagée que jamais, parce que les temps sont ce qu’ils sont.

Elle sera en concert à Paris le 22 novembre et le 25 à Bordeaux.

interview

Reprendre la tournée, après une première séquence aux USA, c’est un plaisir pour toi ?

Nous sommes trois sur scène, un « power trio » (rire). J’aime bien être en tournée, mais il faut que les conditions ne soient pas trop dures, il faut faire attention car une tournée peut vite devenir très dure.

Silencio est le 3e disque sous ton nom (2 albums et un EP), si on ajoute les 3 de Monade on peut dire que non seulement tu dures, ce qui est toujours une prouesse en soi, mais aussi tu as une vraie discographie derrière toi.

Oui, c’est vrai.

Au moment de Monstre cosmic, tu disais que tu étais pleine de doutes, que c’était encore une découverte pour toi de t’apercevoir que tu peux écrire et composer toi-même, sur commande parfois. Est-ce que cette discographie ce sont des acquis qui font reculer les doutes ? Est-ce que ça rassure ?

Ca devrait me rassurer… C’est vrai qu’il y a des choses qui ont été faites, qui sont acquises. Mais ça n’est qu’un chemin, je ne peux pas me raccrocher au passé. Je suis dans un éternel présent, comme tout le monde d’ailleurs, et c’est le devenir qui importe pour moi, depuis toujours.

Peut-être que d’avoir fait ces disques fait que je ne suis plus uniquement dans le devenir, j’ai fait des choses qui témoignent de mes capacités, qui témoignent de mes idées. Mais en même temps, je pressens qu’il y a d’autres choses et que je peux aller beaucoup plus loin. Peut-être qu’il y a encore une bonne moitié à parcourir avant que je sois « quelque part ». C’est très difficile à définir, on court derrière un idéal de soi. Je suis en pleine période de doute.

La reprise de la tournée y est pour quelque chose ?

C’est plutôt la tournée que je viens de terminer aux Etats-Unis, qui était très dure. Certains événements de la tournée m’ont fait douter. En même temps, avec Emma et Xavi qui m’accompagnent, on a réécouté le concert de San Francisco, et ça va, y’a pas de doute à avoir finalement c’est un très bon concert. Mais il y a le ressenti personnel, qui peut être très différent.

De toute façon être trop sûr de soi ce n’est pas bon non plus. Il faut une part d’assurance en soi, mais aussi du doute. J’ai accumulé beaucoup de fatigue dans la tournée américaine, ce qui a permis aux doutes de s’installer plus facilement.

C’est aussi que j’ai fait des choix dans mon travail, qui m’ont menée jusqu’ici. Et j’aimerais faire d’autres choix pour la suite. Notamment, prendre plus le temps d’écrire. De chercher. J’ai besoin de chercher.

Est-ce que ça peut se jouer en studio, en arrivant moins avec des chansons déjà prêtes, par exemple ?

Avec la technologie actuelle, ce n’est pas compliqué d’avoir un studio chez soi. C’est ce que je vise. J’ai des éléments pour faire un studio à la maison, à Londres. Quand la tournée sera finie je vais m’installer.

J’aimerais aller plus profond. Et le faire de manière moins pressée.

Je me rends compte que j’écris très hâtivement. Et je l’ai fait parce que c’est ce que Tim faisait, toujours dans l’urgence, à la dernière minute. C’est vrai que ça te met en situation de faire des choix, clac-clac, très rapides, sans tergiverser. Ca peut produire de beaux résultats, mais tu prends moins de risques. Tu vas vers les choses dont tu sais qu’elles fonctionnent, c’est un piège.

Tu veux tester des choses où tu te surprenne et nous surprenne ?

Voilà. Sur l’album Silencio, le morceau Between Earth and heaven est le seul que j’ai fait sans mes petites barrières de sécurité habituelles, sans « quality control ». J’ai l’impression d’avoir accouché d’une chanson, et en la regardant je me suis dit « elle a une drôle de tête celle là », comme si tu faisais un bébé et que tu te dise « ah il a une drôle de tête » (rires). Toutes les autres chansons ont subi un strict « quality control », dont j’aimerais m’éloigner.

Pas pour me laisser faire de la merde, mais pour permettre ces « bébés étranges », les laisser grandir, ça peut donner des personnes magnifiques.

Tu parlais d’installer ton studio chez toi à Londres, mais tu as aussi enregistré dans le sud de la France où tu as beaucoup de liens. Est-ce que tu te sens de quelque part, ou expatriée, ou rien de tout ça ?

Tu sais, Londres est la 5e ville de France, donc je ne me sens pas isolée dans mon choix de ne pas vivre en France. On peut le présenter de manière tragique, « expatriée », mais en fait c’est chez moi Londres. Mais la France aussi est chez moi, et je pense que quand je serai vieille j’irai m’installer dans le sud-ouest de la France. Je ne veux pas vieillir dans une grosse ville comme Londres qui est quand même assez dingue.

Je voyage pas mal, et puis la France n’est pas loin, un coup d’Eurostar et hop. C’est seule la chose qui me manque, j’aimerais pouvoir aller à Paris plus souvent.

J’ai beaucoup d’amis français à Londres, et quelque part « hélas » (rire), j’ai réalisé que j’en ai vraiment beaucoup ici. On a tous un peu fui la même chose, la glauquerie, une sclérose, le sentiment que tu ne peux rien faire. Ca coûte très très cher d’y être créatif, d’être marginal, original. C’est un pays merveilleux, mais si tu veux être créatif et dynamique, pfff, il faut t’accrocher.

Et donc ton label n’est pas français, Drag city.

Ils sont américains, de Chicago.

Too pure était anglais en revanche, et tu leur es restée fidèle jusqu’à la fin du label. C’est important de bien choisir avec qui tu travailles, de se sentir bien dans un label. Comment s’est fait la rencontre, et comment est-ce que tu fonctionnes avec eux ?

J’ai toujours eu un atome crochu avec Chicago, déjà avec Stereolab. C’est une ville ultra musicale, tout en ayant les pieds sur terre. Comme Stereolab. Ils ne sont pas dans l’ego, le star system, choses auxquelles on ne s’est jamais trop attachés nous-mêmes, la musique était notre priorité. On a un peu les mêmes valeurs que cette ville, et cette envie de recherche musicale.

Drag city, c’est mon « home » idéal, d’ailleurs ce sont eux qui ont sorti mon tout premier split single avec Papa M (de David Pajo). Ma toute première sortie. Et aussi des disques de Stereolab. On a toujours eu une bonne relation, sans jamais être mariés comme avec Elektra. On s’est toujours appréciés. Quand je leur ai demandé, ils ont bien voulu sortir The Trip (son 1er album sous son nom, ndli) et je leur en suis très reconnaissante. Ce n’était pas facile de trouver un label. Drag city est vraiment le meilleur label pour moi, en plus ils ont cette dimension politique, sans censure créative, ils me laissent absolument carte blanche.

D’ailleurs c’est moi qui finance tous mes projets, je ne fais que licencier les disques chez eux.

Puisque tu parles des affinités politiques avec ce label, sur Silencio on te voit revenir à des textes ouvertement engagés, alors que sur tes albums précédents le côté intime et personnel prédominait.

Je me suis toujours intéressée au monde dans lequel je vis, et je me suis toujours dit « ce serait quand même possible de faire beaucoup mieux que ça, même sans que ce soit très compliqué à réaliser ». On pourrait avoir une organisation autre, sans que ça crée des crises économiques désastreuses, sans que les gens perdent leurs emplois. Chaque fois qu’un problème est identifié, on peut le rattacher à sa cause, le capitalisme, vouloir faire du profit à tout prix. Evidemment la crise actuelle en est un exemple frappant. Il n’y a pas de « crise », elle est la conséquence d’abus financiers. Mais les gens ne veulent pas se rendre compte, à quel point nous ne sommes pas la cause de cette crise.

On fait culpabiliser les gens, je le vois ici c’est vraiment le cas en Angleterre : vous avez trop emprunté les gars, on vous a trop construit d’écoles et d’hôpitaux, maintenant il faut payer. Or c’est complètement faux. La réalité c’est qu’il y a eu des abus, et qu’il a fallu en plus rembourser ces abus, et avec les intérêts. C’est un système complètement absurde, que nous payons très cher. Ce système est une construction, et comme toute construction il peut être déconstruit, puis reconstruit d’une autre manière.

On ne parle pas assez de cette réalité là. Pourtant c’est vraiment l’éléphant dans le salon, que personne ne veut voir. Il serait peut-être mieux dans un parc cet éléphant. Il y a le mouvement occupy, il y a les indignados espagnols, mais dans l’ensemble je ne sens pas un mouvement populaire de protestation.

Mon disque, c’est ma manière de faire en sorte qu’on parle de ces choses, mais de manière constructive. Pour que les gens prennent conscience que c’est une construction. Ce système sert une certaine élite, qui s’enrichit à nos dépens et ne voudra pas abandonner comme ça ses privilèges. Donc il peut y avoir une dimension de violence là-dedans. Mais je pense qu’il y a tellement de gens qui souffrent de ce système, comparé au nombre de ceux qui en profitent, que s’il y a un soulèvement populaire ou même seulement une prise de conscience massive il n’y aura pas besoin d’aller jusqu’à une révolution. Pas besoin que les têtes roulent et qu’il y ait du sang partout.

Tes paroles sont très claires là-dessus, tu ne prônes pas la violence.

J’ai de la colère, ça me met en colère et ça me rend triste aussi. En ce moment je suis triste de voir comment les choses tournent. On est capables de faire autre chose. On a cette capacité géniale en tant qu’êtres humains, de décider où l’on va. Sans que ce soit décidé pour nous. Et en plus on peut changer de direction. On est libres, et c’est génial. C’est pour ça que je suis triste de voir à quel point les gens sont aliénés. On est vraiment dans l’esclavage.

Ce n’est écrit nulle part qu’on doive subir ça, à part peut-être dans des écrits religieux, chez les catholiques où il faut beaucoup souffrir. On n’a pas à être là pour en chier.

Dans Auscultation to the nation justement, il y a un long passage bruitiste à la fin, qui illustre le chaos engendré par la finance décrit dans les paroles. D’ailleurs pour toi qui parlait de surprendre, te voir aussi loin de la mélodie c’est une surprise.

J’aime aussi l’art abstrait. J’aime ce que fait Sam Prekop (de the Sea and cake), il est très poète et pour ce morceau il a fait un chaos poétique, il a tout un tas de machines analogiques avec lesquels il fait ces bruits divins et intenses.

Il y a beaucoup de mélodie mais je ne veux pas exclure la possibilité d’inviter du chaos sur mes disques, surtout pour exprimer musicalement celui dans lequel on est.

A l’exception de la fin, c’est aussi un morceau extrêmement dansant, et cet album est sans doute le plus dansant de tous ceux que tu as faits.

J’ai envie qu’on danse, j’adore danser. C’est une forme d’expression de la liberté, on peut faire ce qu’on veut, tous les mouvements qu’on souhaite. C’est vraiment créatif, on est directement branchés à nos sens. C’est justement une de nos missions sur terre : ressentir.

Et faire des expériences, apprendre. La danse est une chose merveilleuse, gratuite, qui ne pollue pas, qu’on peut faire ensemble, qu’on peut faire seul, qui est connectée à l’énergie sexuelle. C’est l’opposé de la guerre. La joie de vivre. Il y a aussi une dimension politique dans la danse, quand on danse on affirme qu’on est vivant. Le système est mortifère, en s’affirmant en dansant dans un tel système, en étant dans son corps et dans ses sens, on est aussi dans une forme de résistance.

La politique se prête aussi à la fête, l’histoire des grèves est parsemée de moments collectifs de fête et de partage.

Il y a même intérêt à ce qu’il y ait de la joie dans nos actes politiques.

Et ce n’est pas parce qu’il y a de la colère qu’il faut renoncer à la joie.

La colère, la violence, peuvent aussi passer dans la danse. Les humains ont une part de violence, on peut l’exprimer par la danse, l’art, la poésie. Elle peut être canalisée, utilisée à des fins de transformation de soi, et de la société.

On en est là aujourd’hui. Il faut faire ce pas, ce très grand pas. On arrête de fumer (rire), on arrête de se polluer.

Et le bruit aussi est une source de pollution.

Ce qui nous amène au silence, qui est le thème récurrent de l’album et lui donne son titre.

Le « bruit » nous empêche de nous connecter avec nous-mêmes. Ca se rejoint en effet.

Merci Laetitia.
Vous pouvez retrouver les interviews précédentes de Laetitia Sadier ici (en 2008) et là (en 2010).



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