La féline: un parfait état
“Moderne, c’est déjà vieux”. C’est le nom de son site, où elle signe d’une plume admirable analyses fines et déclarations sincères à la crème de la crème. Les modernes, comme plus tard les Mods, voulaient faire du passé table rase, ringardiser les ainés, jouaient des coudes pour frayer un chemin à leur mob.
Détentrice d’un tube absolu qui dans un monde parfait sera le nouveau Fade to grey, Adieu l’enfance, La Féline pourrait se contenter de rouler les épaules et engranger les louanges.
Mais voilà… La Féline a plus d’exigence que ses contemporains, mais moins d’ego que la moyenne. L’idée de se comparer la ferait sourire, celle de damer le pion à un autre artiste froncer les sourcils. N’est-ce pas l’esprit de système qu’il conviendrait d’éviter? Adorno, dont Agnès Gayraud est l’une des meilleures spécialistes, avançait avec son applomb habituel que “l’histoire du nouveau mouvement musical [...] est dans son ensemble histoire de la déchéance, régression dans le traditionnel.” Abhorration du jazz naissant, dénigrement de l’invocation vaine des pénates lorsqu’elles font office d’inspiration… Difficile de contenter le maître. Reste une voie étroite.
Reste à un esprit clair à faire confiance à ses sens et ne chercher qu’à sonner juste et approcher du beau. Agnès Gayraud aurait tout, même sans talons, pour nous prendre de haut. L’idée jamais ne l’a effleurée. La femme est à l’image de sa musique, couleur de jais mais lumineuse du dedans.
Les fashionistes
La Féline, comme son nom l’indique, est fine équilibriste. Débarrassée des complexes, de la comparaison aux aînés ou la course à la nouveauté, elle donne avec ce premier album le meilleur d’elle-même. En quelques disques (de courts “ep”), elle s’est trouvé un idiome, elle s’est choisi une voix. Une voix très écrite, mais toujours sensible et charnelle. Il est de bon ton d’invoquer Murat ces derniers temps. Il n’est pas dit que la Féline soit aussi écorchée, mais l’invocation ici n’est pas indue. Aux âmes bien nées les parrainages viennent sans convocation, comme aux beaux parleurs les citations apocryphes. On n’aurait pas forcément pensé tout seul à l’ombrageux auvergnat, mais plutôt aux lumineuse Mansfield TYA.
On connait chez ces dernières les appâts médiévaux (comme sur Rêve de terre), les chaleurs du son et des coeurs, les audaces rockeuses. Les textes sans faux-fuyant. “les experts s’expriment, faut-il avoir peur?”, pourrait être écrit par Laetitia Sadier, capable d’être frontale et distanciée dans un même souffle. Avec un chant qui fait irrésistiblement penser à l’un des plus aimés de nos contrées, celui de Valérie Leulliot, pour le meilleur, pour le phrasé, la chaleur.
Charnelle et pudique à la fois. Entaillant la plante de ses pieds sur l’arrête du gouffre. Aspirée par le doute mais accrochée fermement à des certitudes musicales, forgées patiemment avec les années. Agnès Gayraud marie les contraires. Comme Marquis de Sade, comme Jacno et Elli, Agnès vogue. Sur le channel, entre écriture à la française et sons trempés dans la new wave jusqu’au manche. Vogue, mais pas fashion. Un parfum britannique domine cet élixir. La langue est d’ici, mais les accords sont new wave. Un peu de Echo and the bunnymen, une touche de Chrisma, et puis The Cure, ceux des débuts, the Cure encore et encore, sur Midnight plus qu’ailleurs.
A Sorcière, sorcier et demi. Stéphane “Alf” Briat, légende vivante, surgit pour s’occuper du mix et porter cet album sur les sommets. L’heure est grave. C’est aux vibrations de la corde la plus sensible, la plus grave, que nos épaules ondulent. Paupières closes, pavillon dressé, prêts à bondir comme d’un toit brûlant. Elle sautille sur la corde, tout en haut, la plus basse. Au trot en attendant la cavalcade, sur La ligne d’horizon ou scrutant La fumée dans le ciel, dont le solo surf rêve de Californie comme dans un Johnny remember me.
Laissons sombrer l’astre sur l’horizon. Laissons tiédir la nuit. Atteindre lentement ce parfait état.
Non, pas plus, là… oui là, rien, rien de plus.
Chasse, rogne, ôte. Laisse. Laisse, pas de trop pas de trop peu.
Juste…
Si juste…
Tout juste.
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