Jesus Christ, superstar
Jésus, c’est cool.
Le saint-esprit, c’est trop, Marie elle est trop d’la balle et Dieu ça troue le cul.
Y’a pas d’autre manière de le dire. Enfin, heu… y’a “peut-être” d’autres manières, hein, j’ai pas vérifié.
Et si je vérifiais, sur quoi je tomberais? Sur des compilations de “rock chrétien” et des reprises paroissiales de “Dieu m’a donné la foi”? D’ailleurs, vu que ce morceau groove à mort, j’ai le regret de le confesser, pourquoi pas.
Et puis n’a-t-on pas ressorti, la larme (de rire) à l’oeil, à l’occasion de la mort de James Brown, la scène des Blues brothers où il met en transes une messe?
Ouais, Jesus rocks, comme disait Marie-Madeleine. La preuve en est la flopée de disques dans les années 70, du film Jesus-Christ Superstar à cette autre comédie musicale (de broadway) Gospel. Gospel a été adaptée en français, Julien Clerc qui sortait tout juste de la version française de Hair y fit même office de néo-vedette. Le message très paroissial comme de juste, a bercé mon enfance et plus encore celle de mes frères et soeurs dont le visage s’éclaire en évoquant les après-midi entière à passer et repasser ce vinyl désormais tout crachotant. “Attention p’tit frère, gare à tes affaires! Si t’es pas con, apprends bien tes leçons” Juré, je n’invente pas ces paroles.
Voilà pour le côté kitsch de l’affaire, mais les musiciens n’ont pas cessé de faire de la musique sacrée, sous des formes qui peuvent surprendre les habitués de Monteverdi, Bach ou Haendel…
On a longtemps regardé, depuis la métropole, les messes gospel avec un petit sourire pas forcément loin du regard néocolonial. Ca une messe? On dirait plutôt une kermesse… Ben oui, tout athée convaincu que je suis, il me semble logique qu’il y aie plusieurs manières de rendre grâce. Le problème tient surtout, je suppose, au fait de chanter la louange divine dans une musique légère, non savante et d’origines profanes.
En 1972 Edu Lobo, auquel je consacrerai un billet promis depuis longtemps, est un grand nom de la musique brésilienne, versant musique populaire métissée (mélange de bossa et de jazz, pour dire vite). Missa breve, d’Edu Lobo, est une messe, et pour l’écrire Lobo n’a pas jugé nécessaire de quitter son langage musical habituel pour un autre, plus ancien et européen. Du coup il nous offre une messe comme je n’en connais pas d’autre pour l’instant, assez étonnante selon des critères européens classiques. La forme reprend naturellement les mouvements classiques de la messe catholique, avec un Kyrie, un Gloria, mais précédés de titres en brésiliens. Car ce disque étange sépare bien ses 2 faces. De l’intérêt des disques vinyls, soit dit en passant : la première face contient 5 titres brésiliens, typiques de l’écriture fine de Lobo, musique savante mais sobre, mêlant pop jazzy et tradition brésilienne. La deuxième face est réservée à sa brève messe en 5 mouvements. Le kyrie est en écoute ci-dessous.
L’ensemble n’a rien d’une farce, Edu Lobo n’est pas un clown et sur une partition il n’est pas manchot. Mais aujourd’hui écouter cette messe évoque tout de suite des musiques de films et des swings à la Michel Legrand, dont Lobo est souvent très proche pour le travail des voix. Les orchestrations sont plus californiennes (jazz west coast) qu’autre, et elles sont brillantes. Curieux disque, dont la première face est faite de chansons en brésilien, et la seconde d’une courte messe en latin, sans déroger pour autant à la grammaire musicale de Lobo.
Je vous conseille fortement ce disque, d’abord pour ses qualités musicales, et ensuite pour être agréablement bouscullé-e dans l’écoute.
Je ne sais pas si Lobo a croisé en Californie le compositeur, producteur et arrangeur David Axelrod, que j’ai évoqué dans un contexte moins flateur. Axelrod est un musicien de classe, je trouve. Là aussi j’y reviendrai mais lui aussi opère une fusion, entre jazz et soul-funk cette fois, dans des disques d’une élégance parfaite.
Axelrod n’a pas froid aux yeux lorsqu’il s’attaque tout bonnement, en 1971, au Messie de Haendel. Il se lance dans une version rock totalement réarrangée et pas forcément reconnaissable du novice à la première écoute. Certains passages rappellent effectivement Jesus Christ Superstar, comédie musicale pas totalement ratée sortie au cinéma en 1973.
Pour peu qu’on trouve un peu chiante la version d’origine, même modernisé par Axelrod on ne se roulera pas d’admiration sur la moquette. Genre moi, qui baille dès le second mouvement, le premier chanté. Mais la relecture jazz ne me parait pas ratée, en soi. Axelrod, pas fou, tire ce Messie vers le gospel, qui se prête aux envolées du choeur et aux orchestrations très fournies. On retrouve, dans les tout premiers accords, la “signature” Axelrod, cet enchainement descendant de 2 accords qu’il a casé dans pas mal de ses disques, et qui me séduit généralement. Mais bon, si Cat Power faisait un disque de zouk je doute que j’aimerais, là c’est un peu pareil, je reste sur ma faim, c’est l’oeuvre qui ne me prend pas, mais alors pas du tout.
Pourtant ici les arrangements d’Axelrod sont dirigées par un excellent jazzman, Julian “Cannonball” Adderley, qu’il cotoyait alors chez Capitol.
Axelrod n’en était pas à son coup d’essai. Sa sensibilité spirituelle transparaissait déjà sur son album précédent, le très bon Earth Rot, dont la première face est intitulée “the warning” et la seconde “the signs”.
Mais il a aussi signé en 1968 avec les Electric Prunes Mass in F minor, messe rock chantée en latin par ce groupe important des années psychédélique. C’est depuis ce temps qu’on peut lire dans les églises californiennes “prière de ne pas fumer les cierges”.
edit : on peut aussi ajouter à ces artistes, d’abord le Rock requiem de Lalo Schifrin, mentionné en commentaire, et un titre comme He’s a superstar de Roy Ayers. Liste non exhaustive, ça va de soi.
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