Jerk it out
“She works hard for the money, so you ‘better treat her right !”
Elle a bien raison Donna Summer, qui, habillée en camion volé sur la pochette de son album, donne une idée assez précise genre de travail en question.
Le hasard (vraiment? le hasard?) m’a fait regarder en quelques jours deux films a l’écho perturbant. La rencontre assez brutale du rock et de la branlette (dans le meilleur des cas).
Je vous ai déjà conté par le menu les innombrables chanteurs devenus comédiens et inversement, d’ailleurs la liste n’a cessé de s’allonger depuis. Cette liste a commencé assez tôt et on y trouve en bonne place David Bowie et Marianne Faithfull.
Dans Irina Palm, la grand-mère Marianne un peu guindée devient la main droite n°1 d’un sex shop londonien, à travers un glory hole que même son patron a franchi. Une version romantique de La ville est tranquille de Guédiguian.
Dans Christiane F, récit véridique d’une droguée et prostituée de 14 ans, David Bowie occupe une place prépondérante par sa musique et fait une apparition en chair et en os. Pour l’occasion il a fait une version allemande de Heroes, Helden, que vous pouvez dans l’extrait en bas de l’article.
Deux histoires qui finissent “bien”, l’une pas follichone et l’autre atrocement déprimante. Deux histoires de femme et de fille qui se prostituent. D’un côté une routine excentrique qui blesse le fils, de l’autre une chute en enfer, sordide.
Car si après Irina Palm (la paume de la main, désolé pour ceux qui avaient saisi tous seuls le jeu de mots) on peut respirer normalement, et même sauter sur le téléphone pour recommander ce film à des amis, après Christiane F c’est la déprime totale.
On se sent vraiment mal, d’ailleurs j’ai souvent appuyé sur la touche “pause” pour reprendre mon souffle. Vite oublié, l’élan apporté par la musique de Bowie.
La “période berlinoise” de Bowie est l’une de ses plus fortes, et fournit à Christiane F sa bande son. Les premières virées nocturnes de l’adolescentes sont ennivrantes, elle se prend pour une grande, se donne le frisson en bonne ado rebelle, en fréquentant des marginaux et en sortant en boîte avant l’âge.
Heroes, Station to station, en donnent une toile de fond parfaite. Trop parfaite, trop belle pour durer. La musique se raréfie comme l’espoir et l’espérance de vie des personnages. La nudité sonore gagne, accompagne la plongée dans la prostitution du petit couple ado. “Je ne fais que les branler”, dit-il. “Je ne ferai plus que des pipes”, promet-elle. Promesses de drogués, puisque seul le prochain shoot compte vraiment, à n’importe quelle condition.
La vie d’Irina Palm est bien paisible par comparaison. Une vie de peu, dans une banlieue endormie, où son petit fils meurt à petit feu. Sauf traitement miracle dispensé exclusivement en Australie, mais que personne n’a les moyens de payer.
On ne croit pas forcément qu’Irina soit si naïve qu’elle ne s’aperçoive pas qu’elle est dans un quartier de sex shop, et que le travail qu’on y propose consiste à répondre au téléphone. Mais Marianne Faithfull est remarquable, elle réussit à tout faire passer. A commencer par cette étrange histoire d’amour avec son patron. Elle sauve son petit-fils, trouve l’amour, gagne paradoxalement le respect de sa belle-fille, et même son fils finit par lui pardonner. Que demander de plus?
La Bande originale de Ghinzu (en concert très bientôt, soit dit en passant), une électro très sobre, nous accompagne de bout en bout. De même que la photographie du film, tout en grisaille, elle donne une unité formelle du début à la fin du film. Elle épouse aussi le parti pris du réalisateur d’éviter tout spectaculaire.
Ces deux films confirment aussi une tendance très majoritaire : il est rare qu’un artiste tienne un rôle important et compose en même temps la bande originale du film. On fait généralement l’un ou l’autre, où alors les titres utilisés proviennent d’albums déjà commercialisés.
La participation de Bowie et de Faithfull prend des formes différentes dans ces deux films, et intervient à des moments différents de leur carrière, Irina Palm consacrant définitivement une grande actrice en faisant reposer un film entier sur ses épaules pour la première fois, occasion que Bowie a eue beaucoup plus jeune avec Nicholas Roeg.
Dans les deux cas, retenir ces deux personnalités va bien au-delà du simple casting ou de l’illustration sonore.
Ces films convoquent avec eux toute la légende noire qui leurs colle aux semelles et qui ont contribué à leur célébrité. Marianne Faithfull explique dans ses mémoires à quel point on lui a fait une réputation de traînée à l’époque de sa relation avec Mick Jagger, mais il est vrai aussi qu’elle a eu une vie bouillonnante et sexuellement désinhibée.
Bowie ouvre le concert du film en chantant “the return of the thin white duke”, l’un de ses avatars, le plus controversé et le plus détestable, ce white duke parano arborant des symboles nazis, né d’un cerveau rendu paranoïaque par la cocaïne. La musique d’un drogué, pour l’histoire d’une droguée.
Entre les deux artistes aussi, une foule de points communs, leur statut d’icône sexuelle et de drogués, le rapport à l’Allemagne (Faithfull a beaucoup chanté Brecht et Weill), et le fait d’avoir été amants de Mick Jagger.
“In the heat of the morning”, chantait le jeune Bowie. “Sister morphine”, répondit Faithfull par bravade.
Et au final une même non-morale : “you can jerk it out”.
Ah ja… Irina Palm, je suis bien contente que tu l’aies vu. Drôle aussi que tu aies eu l’idée de regarder “Christiane F.”. Un film vraiment réussi, dur, mais bien tourné (en 16 mm, ce qui est rare et vraiment beau pour Berlin). Étrange, d’ailleurs, que le réalisateur ait fait ensuite ce qu’on peut appeler une carrière de merde : des pubs et des téléfilms pas tops.
Drôle aussi parce que j’ai récemment rencontré un jeune réalisateur allemand foutrement talentueux, dont le premier documentaire, “Drifter” (une merveille de cinéma) raconte la vie de trois très jeunes amis à la dérive dans la rue, héroïnomanes et traînant, comme Christiane F. il y a trente ans, dans la Bahnhof Zoo pour se prostituer. A un moment du film, qui n’est en rien mis en scène, un ado les interpelle d’ailleurs dans la rue pour les traiter de “Kinder der Bahnhof Zoo” (Les enfants de la gare Zoo, qui est le titre original du film sur Christiane F.). Correspondance flagrante et terrifiante. Christiane F. existe toujours dans les rues de Berlin. C’est d’une tristesse sans nom.
merci magda.
et on peut voir ce “drifter” quelque part?
je vous invite aussi, si vous n’avez pas vu Irina Palm, à observer attentivement l’image de Faithfull qui illustre l’article, elle donne un bon résumé de ce que le film a intéressant voire savoureux.
Christiane F, j’ai lu le bouquin, j’ai trouvé ça tellement plombant que ça ne m’a pas donné tellement envie de voir le film…
Pas vu Irina Palm, mais dis donc, qu’est-ce qu’ils lui ont fait à Faithfull ? ^^
pareil ama-l, après avoir u le film, je ne lirai surtout pas le bouquin, ça fait trop mal
Je n’ai vu ni l’un ni l’autre… Ayant eu du mal à digérer Requiem for a dream, je me vois mal de supporter Christiane F…
Par contre, je trouve que, sur la photo accompagnant l’article, Marianne Faithfull ressemble à Travolta dans “Hairspray”… Pas vous?
Bernard menez jouait dans Maine Océan, jolie branlette cinématographique.
C’était ma contribution aux stars du rock qui jouent au cinéma poignettant.
noir
c’est à mon programme pour très bientôt, maine océan,
mais ça promet d’être moins glauque que ces 2 films là.
les carrières prometteuses sans lendemain, magda, je crains que ce ne soit pas si rare que ça.
Pareil qu’Ama-L, je trouvais déjà “La vie de Christiane F.” dur en livre, qu’est-ce que ça doit être en film…
bonne question anna,
mais ça dépend du rapport qu’on a à l’un et à l’autre,
la littérature permet plus à l’imaginaire de travailler, et du coup ça peut être encore plus effrayant qu’un film,
mais je dois dire que la jeune comédienne est redoutablement efficace pour son âge :-/
Comme tu le dis, ça dépend du rapport qu’on a aux livres et aux films - mais personnellement, je trouve plus facile de fermer un livre et d’aller m’aérer la tête que d’arrêter un film.
Ah ben tiens alors ! Pfff, je me hisse ici au sommet de mon inculture pour apprendre que la branlette est le meilleur des cas ?
Ah merci, Arbobo, hein, merci !
(Sans rapport – décidément! –, mais amusant, j’ai commencé par taper “Arbibi” et je trouve que ça vaut le coup de t’appeler habibi, du coup, mon chabichou…)
(Vous en faites pas, il paraît que j’ai le printemps, ça va passer.)
(C’est pour rire.)
dites donc, à vous lire j’ai presque l’impression d’avoir un cœur de pierre… :-/
Christiane F. je l’ai vu quand il est sorti, c’est dur, ça remue, on est embarqué, malmené, mais ça n’est pas intenable.
Un film dur et marquant, qui montrait une réalité brutale débarrassée des fantasmes véhiculés sur Berlin, l’addiciton à la drogue, la zone…
Je ne me rappelais pas de la participation de Bowie au film, curieux comme il est évidemment associé à l’ambiance et au milieu du film pour moi sans pour autant que j’ai vraiment fait le lien (alors que ce lien existe)
peut-être aussi qu’en le voyant jeune on mesure moins la portée de cette histoire,
là j’en ai 35, et des ados paumées qui pourraient suivre exactement la m^me trajectoire, j’en connais de près, alors forcément, je le prends en pleine face
PS : ardalia, habibi aussi petite sacripane ^^
on en mesure moins la portée, je ne crois pas, l’histoire et les images sont suffisamment fortes, et si j’avais oublié Bowie c’est sans doute aussi parce que ce sont les ados qui m’ont profondément marquée et dont je me rappelle encore certaines scènes.
Par contre, des jeunes qui se droguaient, il y en avait, mais pas vraiment proches de moi, alors je pouvais mettre une certaine distance.
Comme Rififi, j’ai trouvé ça dur mais pas intenable, Christiane F.
“Drifter”? J’en ai une copie chez moi… En allemand sans sous-titres, euh… mais je ne suis pas peu fière de l’avoir tout de même et de pouvoir la montrer autour de moi… je t’en dirai plus.
moi, le bouquin m’avait completement retourné. Je devais avoir un truc comme 15 ans. A l’époque je lisais plein de temoignages sur les camps de concentrations, et ca me retournait pareil que cette histoire de drogue et de prostitution.
et qq années plus tard,j’ai été tout autant retourné par requiem for a dream:-)
guic: j’suis assez d’accord avec toi sur la photo de faithfull :-)