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Heartbreak hotel : un rock posthume aux accents légers

Le jour où je faisais la connaissance de la photographe qui allait changer mon existence, je croisai du même coup le bassiste d’un groupe français au destin interrompu. Les Hellboys, groupe rock/punk parisien, ont été au seuil du succès, assurant la première partie de Joe Strummer & the mescaleros. C’est ce qu’on appelle “passer à ça…”

Puis chacun, entre deux concerts, retourna à ses activités professionnelles. Pour le leader du groupe, Nikola Acin, elles restaient musicales puisqu’il était journaliste à Rock & folk. C’est donc logiquement de Philippe Manoeuvre qui j’appris la mort d’Acin, et moins logiquement à l’occasion d’un épisode de la Nouvelle Star. Ironie de la télé, c’est par les images et le clip que nous revient la voix de Nikola Acin.
Car avant de fermer l’étui de sa guitare, il s’était lancé avec Yarol Poupaud dans une grande entreprise de rock rétro. du rock à la papa, dont on ne parle même plus dans la presse rock mais qui a bercé tant de musiciens et de chroniqueurs. Auteur et compositeur des 12 titres du disques Acin a laissé un vrai disque à lui, avec lequel il a fallu créer un objet qui ne soit pas un mausolée. Avoir clippé chaque titre est l’excellente idée qui permet d’éviter de traverser un cimetière.

Avec une certaine forme de modestie, les deux amis ont baptisé le projet d’un des plus grands tubes d’Elvis, Heartbreak hotel, pour graver douze titres. Chaque titre ayant fait l’objet d’un clip, c’est un coffret qui vous est proposé CD + DVD, Snake eyes, chez Bonus tracks.
Dans cette collection inégale les meilleurs clips (O Caroline), ne sont pas nécessairement ceux des meilleures chansons. Ce qui permet d’apprécier autrement certains titres qui nous avaient moins accroché.

Ce disque est d’abord une réunion d’amoureux des premiers temps du rock’n'roll. Celui d’avant la pop, celui d’avant la “British invasion”, le temps où l’Amérique pouvait fièrement revendiquer l’invention de la musique la plus moderne du monde. Une musique délicieusement rétro aujourd’hui. Plutôt que de la faire nostalgique, Poupaud et Acin ont préféré se prendre au jeu. Les clips soulignent ce côté pas prise de tête, les deux zigues avaient passé depuis un moment le stade de prendre les grosses chevilles.

Ne me demandez pas de dire du bien de Coconut juice, ce genre de niaiseries country me saoule illico (malgré un clip rigolo), mais en dehors de cette fantaisie de trop le reste tient bien la route. Avec The day the rain came down, l’album débute sous de très beaux auspices, elle a ce juste degré d’amertume qui vient vous titiller, et le clip en animation (Aline Diépois & Thomas Gizolme) et fonctionne parfaitement. Ce beau titre et son clip à la Michel Gondry, doucereux, dominent clairement l’ensemble.

Above my head n’est pas le meilleur titre, et certainement le clip le plus pauvre, mais il est la captation du live, et voir chanter Nikola Acin avec son pote Yarol, sans pathos, a de quoi nous troubler. Il fallait un clip comme celui-ci dans ce dvd. Songez qu’un titre s’intitule justement Fantôme de cimetière. Chantées par Acin  ces paroles peuvent devenir lugubres, en tout cas elles tiennent bien haut l’un des meilleurs morceaux, uste assez relâché, juste assez investi. La veille est l’un de mes autres préféré du lot, et le clip de Melvil Poupaud (un train qui roule dans le désert américain) a beau être banal, il a du moins une bonne idée filmique, de débuter sur un long plan muet. Inattendu pour un clip, ce parti pris redonne à l’image sa place véritable, au-delà la simple illustration, et nous donne à voir sans obstruer ou concurrencer la musique. Avec sa longue intro, celui de Hollywood Rose s’en sort assez bien lui aussi.
Bien obligé d’écouter mes goûts, je sors plus facilement du lot les titres les plus bluesy, les moins western.

Les clin d’oeil fusent (Mitchum en filigrane de Coconut juice, Dylan et son clip de Subterranean homesick blues dans celui de Everything can go), et le faux vintage (l’image délibérément abîmée pour faire vieux 16mm sauvé des eaux) frôle le gimmick. Mais l’humour domine, comme avec ce cow-boy d’opérette de Snake eyes, ou ce cours de danse country filmé par… la hardeuse Ovidie (Bed of roses).

Un disque s’accompagne de promo, de tournée, rien de tout ça n’est possible après la mort du chanteur et compositeur. Il a fallu inventer autre chose, donner à voir et à entendre, et on sent quelque fort de sincère dans cette entreprise, des amitiés, une ambiance de groupe entretenue par les nombreux réalisateurs des clips. Pas trop sérieux, pas triste, le coffret s’efforce de mettre en valeur douze chansons sans prétention et réussit à nous donner des envies d’Amérique.