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Grooms : Rejoicer. Cherche sous-loc. Manhattan, vue sur Hudson riv. souhaitée

De toute façon, j’ai toujours aimé cette ville. Son métro tout sombre où l’on n’y voit goutte. Ses longues avenues qui offrent d’un seul regard des kilomètres de buildings. Ses lieux de légende qui vivent et meurent sans devenir des musées (tout le contraire de Paris). Et ce truc qui donne l’impression de traverser l’écran et d’évoluer dans un film, les bouches de métro crachant leur vapeur à mi-trottoir.

Ville de toutes les diasporas, rare endroit où il est presque possible de trouver du bon pain hors de nos frontières, ville punk, ville jazz, ville boogaloo, ville du rap, ville rock… Même si tout le bas de Manhattan, de Chelsea au Village, de Tribeca à SoHo, a troqué les squats contre des galeries et les rockers fauchés contre des milliardaires. Plus de trace du Velvet, de Max Kansas city, du CBGB’s…
Sonic Youth est l’un des rares vestiges de ce New York là, de ces années 80 là, à porter encore beau et ne pas avoir sombré dans le ridicule.

Littérature, films, musique, conservent le souvenir de ces années là. Pas de tour operator comme à Manchester autour des lieux associés aux Smiths. Plutôt des évocations. Fugitive comme dans Summer of Sam de Spike Lee, à travers le groupe d’Adrian Brody. Ou plus habitées, dans ce disque de Grooms (qui s’appelaient précédemment Muggabears). Un bon disque, d’ailleurs, Rejoicer, paru en 2009 et qui a échappé à la critique. On se demande bien pourquoi. Même s’il faut dire qu’en plus d’être installé à Brooklyn, premier accroc à leur filiation, péché véniel, le trio avoue benoitement sa foi chrétienne, ce qui fait un peu tâche sur le cv.

At the pool

La mithre et le vin de messe n’ayant pas donné chez Dylan et Neil Young le meilleur de leur carrière, on aurait dû s’inquiéter. Mais Kanine records a généralement bon goût (Chairlift, Grizzly bear, Holy hail), et même si des punks auraient préféré pisser dans le bénitier que se signer, le saint esprit a apparemment éclusé quelques pintes du côté du bowery. Et voilà qu’un lendemain de cuite, le seigneur a fait apparaître son visage sur un alka selzer et parlé à Travis, Emily et Jim en ces termes : “ouais, putain, yo, tu vois le rock ça arrache bien en fait, vazy yo, fais trop du rock mec, cool, ça déchire trop le cul man”.
Comme quoi, excusez-moi de vous le dire, mais Dieu ne tient franchement pas l’alcool et il ferait bien d’arrêter de faire le mariole et de se contenter de jus Pago, parce que là on dirait juste un prof de banlieue en train d’essayer d’atteindre le cerveau de ses élèves de 4e et c’est pathétique.

En même temps, cette céleste cuite aura eu des bienfaits inespérés pour la paroisse de Grooms, même si les sièges réservés à Thurston et Kim restent désespérément vide -sachons pardonner aux âmes égarées. Et puis plus on écoute et plus la filiation avec Sonic youth s’estompe passé la première moitié du disque. D’ailleurs on se demande si ce ne sont pas d’autres compatriotes, Pavement, qu’il faudrait invoquer.
Est-ce que ce n’est pas plutôt à eux qu’on doit ces curieux passages plus dénudés, ce Ghost cat et son accord frotté sans discontinuer, drone qui hante le morceau.
A moins que ce ne soit At the pool, le tournant. Très SY dans le côté dissonant et bruitiste, il contient aussi des parties de guitare qui ouvrent nettement vers d’autres horizons rythmiques et mélodiques. Mais Kier a aussi un côté très Cure avec sa basse limite groovy, son chant perdu dans le vague et ses guitares qui bataillent contre l’harmonie.

Autant dire que sans déborder d’originalité (gardons-les de ce péché d’orgueil), Grooms est plus qu’un clone réussi de Sonic Youth, et prend juste place dans une lignée indie new yorkaise qu’ils défendent avec talent. Ca sent trop son lower Manhattan pour être foncièrement mauvais. J’ai toujours aimé cette ville, son odeur un peu sale, ses “deli” où manger frais à n’importe quelle heure, ses tenues délirantes et ses traders à la con. J’ai toujours adoré cette ville mal élevée dont les buildings trop élevés foutent leurs doigts dans le nez des nuages.

Grooms amène le rock aux mains sales et le bruit érudit dans la sacristie. Mélange un brin surréaliste, mais quand on sait qu’une boîte phare des années 90 avait élu domicile dans une église déconsacrée, ça sonne finalement “soooo New York”. Le groupe est impatient de publier un nouvel album, déjà bien avancé si l’on en croit leur blog. A l’écoute de la formidable reprise de Wicked game de Chris Isaak, on partage leur envie. On va demander au curé de Saint-Eustache de les inscrire à sa programmation spécial CBGBs 2010.