Gene Vincent
Anniversaire d’Elvis, biopics (films biographiques) sur Johnny Cash, Ray Charles ou (plus ancien) Jerry Lee Lewis, sans oublier la prose et le cinéma qui se penchent sur les cas Rolling Stones et Bob Dylan…
D’anniversaire en anniversaire, les vieilleries reviennent à l’honneur, et les pionniers du rock, rock’n'roll compris, ont eu droit l’an passé à une rétrospective à la fondation Cartier, autrement dit le label de coolitude culturelle. Même Ama-L profite d’un crossover pour parler avec talent de Jerry Lee Lewis que j’aime si peu (lien expiré).
Il faut dire qu’on pardonne plus aux artistes qu’on admire, or la musique de JLL ne me touche pas. Il me fait penser aux enfants, lorsqu’ils cherchent désespérément à attirer l’attention de maman qui a autre chose à faire, trépignant, faisant tout plein de n’importe quoi pour un résultat généralement laid et un brin obscène. On a envie de leur dire arrête, reste toi-même, c’est comme ça que je t’aime. Probablement le genre de phrase, surtout la fin, que Jerry Lee n’a pas entendu dans son enfance, mais pour être franc je m’en fous de le savoir.
Jerry Lee immolait ses piano, Buddy Holy et ses montures noires ont fini en cendres dans un avion tandis qu’Eddie Cochran roulait une pelle à un platane, tous les gamins imitent un jour le duck walk de Chuck Berry, et Vince Taylor a marqué par son côté cuir limite backroom. Voilà le tableau. A chacun sa part de la légende des 50s, à condition de ne pas oublier un crooner country maudit (Cash), un aveugle génial (Charles), et un héritier débonnaire du boogie woogie (Fats Domino).
Il en reste un.
Mon préféré. Celui qu’on mentionne mais dont on ne parle quasiment jamais : Gene Vincent. En avance sur les autres peut-être, à l’exception de Cash, Presley et Charles.
Le jeu scénique, l’énergie brute déployée par les premiers rockers parait aujourd’hui dérisoire, bien gentille, et même les déhanchements scandaleux d’Elvis nous semblent aussi sages que les assemblées de jeunes en costard et escarpins qui étaient leur public.
C’étaient les années 50, la rage adolescente était indécente et le seul fait de sauter en rythme sur scène en criant parfois certaines notes donnait à ces prestations un côté animal foutrement neuf et dangereux.
Gene Vincent avait un atout scénique qui aurait pu lui tailler une légende, une patte folle qui l’obligeait à un jeu de scène inimitable (tout de cuir vêtu), tout aussi spectaculaire que les embrasements de Little Richard ou Jerry Lee Lewis. Las, on retint surtout le dernier, un peu le second, et on laissa Vincent à la station essence sur la route de la légende.
Tous les ingrédients étaient réunis, y compris la tragédie (il survit à l’accident qui tua son ami Cochran) et la décrépitude (il meurt en noyant ses dettes dans l’alcool). De quoi faire un grand film hollywoodien, splendeur et misère d’un rocker. Il meurt en 1971, en plein explosions funk et hard rock, des années après Monterey et Woodstock, sa musique ne sert plus à rien.
Pourtant, le rockabilly de Gene Vincent n’a pas vieilli, il a très peu des tics de son époque, musicalement et vocalement. La puissance de ses morceaux est intacte, et il y a quelque chose d’Elvis dans sa manière d’allier le côté mauvais garçon à des ballades sincèrement touchantes.
Rien que son Be bop a lula est d’une beauté rythmique incroyable. Attirés par la note tenue en ouverture, nous sommes cueillis soudainement par une syncope très osée, que le tempo très retenu rend terriblement sexuelle.
Mais sa carrière ne s’arrête pas là. Ecoutez Up a lazy river, vous comprendrez à cette manière de chanter que Gene Vincent était sans doute moins adolescent que ses collègues de bureau. Il ne pouvait pas “vieillir” parce que sa musique était déjà adulte, alors que malgré la nostalgie il y a dans les concerts du génial mais vieillissant Chuck Berry un côté pathétique. Même génie rythmique dans Blue jean bop (toujours ces paroles insipides), qu’il entrelarde de jappements excitants.
Rollin Danny a même été repris par le très sombre et très intransigeant Mark E. Smith de the Fall.
J’ai découvert Gene Vincent à 14 ans. Je ne connaissais jusque là du rock’n'roll que Rock around the clock et Johnny B. Goode, même si j’avais un peu potassé l’histoire. Lorsque mon père a eu une platine CD, une partie de mon argent de poche est devenue dédiée à en acheter. D’abord 4, que j’écoutais en boucle jusqu’à les amincir. Deux nouveautés, et deux compilations oldies, l’une des Beach boys et l’autre de Gene Vincent. Le pied total. J’ai longtemps considéré que cette compile était l’un de mes meilleurs disques, jusqu’au jour où je me suis aperçu que des “meilleurs disques” j’en avais quelques centaines en rayon.
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