arbobo

Comelade, comme à la rigolade

Je reviendrai sans doute un jour plus à fond sur Pascal Comelade et son étonnante carrière. Une carrière entamée en 1975 et que ne traduit évidemment pas la compilation qui vient de sortir, dont les titres les plus anciens datent de 1992. Veux-tu bien nous rendre ces 17 années, fripon?

Car oui, c’est un fripon, Comelade. Un type au visage grave, passé par des expérimentations sonores fort peu abordables. Un type intelligent, cultivé, qui fait rêver à l’idée de l’interviewer. Mais aussi, sous la noirceur de son regard et de ses rouflaquettes désordonneés, un grand joueur.

Samedi 9 juin, Pascal Comelade et le bel canto orquestra (avec qui il travaille souvent) donnaient un concert dans le cadre du festival Villette sonique. Le Cabaret sauvage est une salle géniale, et on se dit après-coup qu’aucune autre à Paris n’aurait aussi bien accueilli cette explosion de malice.

Comelade est coincé derrière un pilier, il a trouvé l’endroit où l’on ne verra que ses doigts, laissant les musiciens du bel canto orquestra profiter de la lumière. Et il n’a pas tort, car si c’est son nom à lui qui fait venir le public (pas si nombreux que ça, malheureusement), ses acolytes apportent une contribution décisive.

Dans ce concert purement instrumental, joué dans la lumière d’après-midi, jeunes et moins jeunes, parents et bambins, sont mélangés allègrement, vautrés pour la plupart sur des coussins sur le plancher. Ni decorum ni ambiance rock, mais…
Mais le rock est pourtant là. Pas tout seul, mais il est là. La plupart des titres, si je ne m’abuse, sont des reprises. Impression partagée avec ama-l, une de mes comparses de choix pour aller aux concerts. Mais à la manière d’une Cat Power, Comelade triture tellement les originaux que seuls les passages les plus significatifs restent reconnaissables, encore que c’est plus “évocation” que “reconnaissance” qu’il convient d’écrire.

Comelade a tâté de l’expérimental répétitif, a travaillé avec les plus grands noms du rock, mais aussi avec des jazzmen et l’émérite guitariste espagnol Luis Llach… Les barrières des genres n’ont pas grand sens pour ce catalan espagnol qui vit une grande partie de sa vie du côté français de la frontière.
Jazz, chanson, traditionnels, rock, tout ça est mélangé mais tenu bien ensemble par le style des arrangements et l’interprétation au cordeau de ce magnifique ensemble. Alors, que les musiciens revisitent Van Morrison, Fever, ou encore Sara perche ti amo ou Phil Barney (si si !), on n’a jamais l’impression que le concert oscille ou qu’il circule entre des genres différents.

Et encore, ça n’est rien. Bien sûr, une fois qu’on a dit ça on laisse entendre de grandes qualités d’écriture et un sens musical pointu. Mais l’interprétation hors pair est au service du plaisir avant tout. Un plaisir enfantin, dont les gambadements des petits au pied de la scène témoignent joyeusement. Plus qu’au piano, Comelade passe la plupart de son temps au piano-jouet, instrument prisé aussi bien par Cage que par Yann Tiersen.
Tout ça n’est pas bien sérieux, mais parfaitement grave. Qu’il est rare, ce délicieux cocktail, qui respecte la puissance de la musique, l’investissement total d’artistes de calibre, mais joue l’oeil brillant et le sourire en coin, au service d’une infinie légèreté.
A la fois dedans et dehors, jouant le coup à fond mais pour le jeu justement.

Multi-instrumentistes, les membres du bel canto orquestra sont tous excellents. Lorsque le joueur de melodica passe au ukulele c’est pour mieux suivre la cadence donnée par… un lapin duracell ! Inventer un art du dérisoire. Offrir à des morceaux simples et sans prétention la crème des arrangements et les meilleurs interprètes, mais aussi les plus enfantins et artisanaux des instruments. A ce jeu des contraires où il excelle, Pascal Comelade nous embarque très vite et jusqu’au bout.
Mais le héros du jour est Pep Pascual, figure immédiatement attachante qui m’a tout bonnement subjugué.

Dans cette vidéo, vous voyez à l’oeuvre une petite partie de cet inépuisable réservoir d’inventions. Quelle sublime version du Russian roulette de Van Morrison. De tout, du moindre détail, du plus dérisoire des objets, il tire une musicalité inédite, fine, touchante, mais aussi parfois une puissance incroyable. Son jeu de paille est déjà incroyable, mais il m’a décroché la machoire avec un tout simple ballon, de ceux qu’on gonfle pour les anniversaires. Grâce à des micros et une acoustique parfaits, on l’entend le gonfler et dégonfler en rythme comme une percussion humaine, puis il se sert du cri stident du ballon qu’on dégonfle pour en tirer un chanteur rock en chaleur, un Mick Jagger destroy. Incroyable.

Comelade et le bel canto viennent de publier un nouvel album, Metode de rocanrol, et joueront dans la foulée à Toulouse, avant, je l’espère pour vous, une tournée que vous ne voudrez pas manquer.