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Chloé : One in other

La cote de l’électro semblait en berne, entre fermeture de clubs comme le Pulp, et changements de cap de labels, Warp ayant quasiment renoncé à cette musique qui fit sa renommée 20 ans durant. Pourtant quelques uns des meilleurs disques de 2010 sont électro, comme le fabuleux In D de Arandel. One in other est un autre coup gagnant signé Chloé, qui commence à avoir une vraie discographie, faite de EPs, de bandes-originales, et d’albums.

Word of word

Sur disque, la patte Chloé, c’est tout le contraire du son dancefloor qu’elle développe dans ses sets de DJ. Beaucoup de midtempo et downtempo,  des beats peu accrocheurs pour qui voudrait danser, et une atmosphère sombre qui doit plus à l’abstract qu’à l’IDM (intelligent dance music).
Atmosphère si chargée qu’avec Slow lane, on tient une vraie parenté avec John Carpenter et ses thèmes au synthé, ou encore avec Moroder lorsque Word of word nous offre un dernier tiers haletant.

La force des grands dj, c’est de savoir raconter une histoire en passant de la musique. Cela demande un sens de la narration, voir de la dramaturgie. Quand de tels dj passent à la composition, cela donne de vrais albums, construits, finement agencés.
On déconseille plus que jamais la lecture aléatoire, invention destinée à sauver les disques médiocres et à saccager les vrais albums. Ecoutez One in other d’une traite, faites défiler votre film dans l’ombre de vos paupières closes.

A l’époque où il sévissait sur Nova dans sa fabuleuse émission “Test”, Ivan Smagghe impressionna des milliers d’entre nous par l’exigence de ses programmations et la force de ses trouvailles. Fondateur du label électro underground Kill the DJ, ce n’est pas en raison de l’amitié qui le lie à Chloé depuis les soirées au Pulp qu’il a signé ce disque, comme il avait déjà accueilli The waiting room, après avoir signé ensemble la compilation the dysfunctional family.
Au contraire, c’est leur exigence commune qui les fait poursuivre ensemble une autre aventure. Kill the DJ est une maison d’alchimistes, qui cherchent à conjuguer les contraires. Faire une musique abstraite mais évocatrice, froide mais bourrée d’humanité, et qui reste de l’électro sans renoncer à faire du rock, comme la batterie de Distant, le saxo de You ou la fin de One in other nous le démontrent. Malgré un petit ventre creux, le disque démarre très haut et termine encore plus fort. Dans cette construction souvent instrumentale, un seul invité, Chris Garneau, un habitué des mélodies lyriques, méconnaissable et qui se prête au rêve éveillé jusqu’à frôler le poème de spoken word. Quand One ring circus vient s’enchaîner, on frôle l’apothéose, qui éclora sur Slow lane.

Chloé manie le gros son pour le travailler avec délicatesse, comme une sculptrice transformant le fer en pendules aériens. Ces sons liquides, ondulants, qui ouvrent ce bel album, ramènent au meilleur travail de Boards of Canada, et ravivent l’excitation des débuts de Mo’wax. Avec une touche de classe supplémentaire, ce graphisme minimal propre à Kill the DJ, qui sait rendre le noir et blanc plus attirant que jamais.

Chloé Thévenin n’avait plus rien à démontrer depuis longtemps, sa réputation est faite. C’est sans doute ce détachement qui l’autorise, l’air de rien, à nous offrir une vraie démonstration.