Chew lips, electro never dies
Depuis Human league et autres néo-romantiques sur fonds d’électronique, l’électro sauce aigre-douce continue de bien porter.
Il y a une dizaine d’années c’était le trio d’Américaines Client qui reprenait un flambeau disputé avec, au hasard, la moitié de Londres et une bonne partie de Berlin. Pas étonnant que Chew lips aient débarqué chez Kitsuné, toujours friands de ces bonbons acidulés, souvenez-vous, la poudre qui pique sur la langue (et après ta langue elle est verte, banane!). Le label avait déjà publié deux single hors album, Salt air, et solo, titres dancefloor assez banal, qui ne permettaient pas d’espérer un album de cette qualité.
golden key
En musique c’est comme au basket, pas comme au foot, on peut faire entrer autant de remplaçants qu’on veut, ça va ça vient, les nouvelles têtes c’est un genre en soi. Un genre que Kitsuné maîtrise mieux que la moyenne. Au jeu des 7 erreurs on pense vraiment très fort à Client, élégant trio new-yorkais aujourd’hui éteint, ainsi qu’aux Long blondes, groupe anglais frappé de malchance mais qui nous avait tapé dans l’oreille avec Victory. Les claviers et la rythmique mate ont aussi comme un côté Swayzak (Play together), qui nous a tant réjoui à la fin du siècle. On parle sans doute trop de Class actress en ce moment, et pas suffisamment de Chew lips.
Ce n’est pas exactement de l’électro, et c’est une new wave qui ne craindrait pas les colocations. Car si dans les moments les plus lents et dépouillés (l’ouverture de l’album notamment) on rejoue la carte gagnante “less is more” de the XX, le chant nous emmène rapidement dans une soul à blanc qui doit faire saliver les Pet shop boys. Le genre de mélange entre dureté musicale et chaleur vocale qui fit la valeur de Yazoo avec sa chanteuse Alison Moyet. Celle de Chew lips s’appelle Tigs, elle est envoutante Tigs, on la verrait bien tenir la dragée haute à Alicia Keys, les dragibus en plus.
Ecoutez bien ce premier morceau, Eight, sans craindre de dépasser la dose apparemment prescrite. Repassez-le jusqu’à identifier ce son mécanique, qui vient perturber en arrière-fond. Repassez-le encore jusqu’à réaliser que ce son est quasi continu et sans aucune variation, dans la tradition minimaliste. C’est quand ils s’autorisent ces dérangements, ce parti pris anti-pop, qu’ils deviennent le plus intéressants.
Le trio n’est pas encore capable d’atteindre ce niveau sur un album entier. Il n’y a rien dont ils doivent avoir honte, mais quelques passages (Slick) manquent d’intérêt et donnent envie de se remettre en boucle ce Eight parfait, et ce Too much talking vénéneux. On n’en revient pas qu’ils osent le laisser se terminer sans climax, sans consommer l’acte. Quand Toro débute c’est même pire, on jouit du morceau tout en ayant envie de se retaper un coup de Too much talking. On a changé de zone érogène sans prévenir, dommage pour ceux qui voulaient tenir la position. Seven enchaine, la bouffée de chaleur revient. “What are you waiting for?”, demande Two hands, comme s’ils ne connaissaient pas la réponse. On attend que ça continue, pardi, cette pulsation de Gold key, ce rythme qui ralentit jusqu’au spasme, on attend que ça continue!
Dire qu’ils sont obligés de lever le pied pour qu’on accepte que le disque s’achève.
Le chant tient trop de place dans Chew lips, il est trop mélodieux et soul pour que l’expression New wave suffise. C’en est, clairement, évidemment, mais dans son versant le plus proche des nouveaux romantiques (d’ailleurs ce titre de conte de fées, Unicorn, la licorne en anglais), plus Depeche Mode que the Cure, plus OMD que Kraftwerk. Même si ce genre d’explication fera hurler les fans du genre, et fera se demander aux autres ce qu’on a fumé pour en arriver là.
Rien. Rien fumé mais l’écoute des meilleurs passages de Unicorn sont addictifs. Comme ceux dont on a étiré la liste depuis le début de cette chronique. Eight? Seven? Ok, on va réviser les tables de multiplication.