Cat Power - Sun. Same girl?
Un jour le plus grand groupe de rock du monde a cessé de l’être, pour se transformer en plus-grand-groupe-musical-populaire-du-monde. Ce jour là, c’était celui de la parution de Some girls et du hit monumental qu’il contenait : Miss you. Un tube comme le groupe en avait déjà l’habitude, mais -nouveauté-disco à gogo.
Ce jour là, les fans des Stones sont devenus comme deux continents, anciennement superposés et qui s’éloignent de plus en plus. D’un côté, les fans du groupe (ou de Jagger, ou encore de Richards), prêts à les suivre, à poursuivre un compagnonnage où la fidélité compte plus que les digressions stylistiques. De l’autre, les amateurs du rock de la première heure, de ces blancs becs inspirés par le blues et le rythm’n'blues le plus pur. Ceux-là ne se reconnaissent plus que dans un passé commun.
Cat Power n’a jamais eu un statut ni une aura aussi glorieux ni planétaire, mais il y a dans son évolution et l’attitude de son public comme une similitude. Le virage fut amorcé avec the Greatest, mais le disque était si réussi que ses fans les plus anciens n’y virent pas matière à se détourner. Malgré la soul des chansons, malgré un (lourdaud) groupe de scène rythm’n'blues très éloigné de tout ce à quoi elle nous avait habitués.
La rupture se fit avec le suivant, Jukebox, ou plutôt le lien se défit. Disque poussif, un peu forcé sur la forme et manquant de conviction sur le fond, il mit à l’épreuve l’affection de son public et fit craindre qu’elle soit perdue pour le rock indé dont elle avait bien failli devenir la nouvelle héroïne.
Lorsque Sun arrive à nos oreilles, précédé d’un single qui créait la surprise (Ruin), tout a déjà changé. Le lien intime a déjà viré à la nostalgie, au regret de certains disques chéris, au souvenir de moments, évanouis, où les fêlures de la jeune femme nous la rendaient plus précieuse, où son chant angoissé était le compagnon de nos détresses post-adolescentes.
Plus rien ne sera comme avant. En marge des interviews, les journalistes décrivent pourtant une femme semblable à elle-même, à peine plus sûre d’elle et moins torturée que celle dont nous tombions amoureux, il y a 10 ou 15 ans. “Are you mad at me?” Mais sa musique est méconnaissable.
Du moins est-ce la première impression. Et c’est ce qui court sur toutes les lèvres. On nous l’a changée.
La présence de Zdar au casting a radicalisé les esprits, la moitié de Cassius est présenté comme le complice d’un virage “électro”, comme si quelques boîtes à rythmes et mesures de synthé y suffisaient (Zdar a aussi mixé “la ritournelle”, du Phoenix, le Lou Doillon, pourtant). Les premiers enregistrements de Chan Marshall contenaient par touches des effets électro, et elle n’a jamais fait mystère de son goût pour le hiphop, qui pour une fois influence son nouvel album. C’est souvent le public qui met les artistes dans des cases, et c’est nous, nous seuls, qui avons décidé que Cat Power devait être ad vitam une “icône indé” (voire folk, pour toutes les victimes d’hallucinations auditives qui prétendent avoir entendu ne serait-ce qu’une seule mesure “folk” dans la douzaine de disques de Cat power… pauvre d’eux).
Alors, Sun? Ah qu’il est déconcertant ce disque. Faut dire Chan, quoi, tu ne nous facilites pas la tache. Sun est un bon disque, qu’on aimerait aimer puisqu’il est fait par elle, et qu’on aimerait détester parce qu’il n’a rien à voir avec ce que nous avions envie d’entendre de sa part. “Ce n’est pas un disque de rupture”, explique-t-elle en interview, car elle était encore en couple lorsqu’elle l’a composé. A l’évidence c’est pourtant un disque de rupture, avec elle-même et ses précédents disques, et de rupture avec ses fans.
Le problème de ce disque, ce ne sont pas les chansons, bonnes (quoique certaines un peu faciles), excellentes parfois. Le souci, c’est que le charme est rompu. La musicienne a pris le pas sur cette fiction dans laquelle nous nous sommes complu, d’une fée clochette qui aurait besoin de notre épaule pour s’épancher et se rassurer.
Comme si, après avoir joué des années le jeu de la séduction, on découvrait que celle qui agite notre coeur ne nous avait jamais, pas une seconde, considéré autrement que comme un bon pote.
Comment, après ça, l’aimer à nouveau, l’aimer autant, aussi fort?
Oui, Sun est un bon disque, moins écorché que ceux de sa grandeur. Le dernier tiers de l’album est assez ébouriffant, soyons clair. Oui, Cat power continue de changer, comme elle l’avait déjà fait. Mais la vérité, c’est que nous avions créé et aimé une illusion. La réalité nous ayant rattrapé, c’est nous qui avons changé.
Pour Manhattan. Pour le magnifique Peace and love. Pour ces sensations là qui ne doivent rien au passé mais uniquement à ce disque là. On continuera d’écouter Sun. Et de ne pas reprocher à Chan Marshall des fantasmes que nous avions créés de toute pièce. L’amour, quelle saloperie!
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je n’ai pas (encore) écouté le disque, mais ton article est très bon. Il vaut pour pas mal de sorties récentes de nos bien aimés artistes des 90’s…
ah ah
merci xavier, en y repensant je me suis aussi fait la réflexion, dans certains cas c’est une banalisation de l’oeuvre sans gros changement de style (frank black, the Cure), mais pour d’autres ce sont les virages qui ont laissé du monde dégager par la fenêtre ^^
(genre bowie avec Let’s dance, qui n’a jamais vraiment retrouvé son statut)
Il y a je crois une différence entre les deux.
Le gros virage est peut etre plus respecté que la banalisation progressive. Radiohead a perdu beaucoup de monde avec Kid A, mais a acquis un statut encore supérieur auprès de ceux qui sont restés. bowie s’est peut etre vautré à un moment, mais il a su prendre d’autres virages et dessiner au final une discographie intéressante, meme si inégale.
Alors que la banalisation est assez terrible finalement, le public peut se désintéresser d’un artiste sans vraiment de raison valable. Et encore, dans le cas de Frank Black (ou bien d’autres), il y a aussi une question de quantité et de qualité (à l’époque il sortait un disque par an, dont 90% de trucs sans intéret). Mais il y a aussi banalisation d’artistes qui pourtant ne baissent pas en qualité. Je pense notamment à Woven Hand, Shannon Wright (dans une moindre mesure), ou Sigur Ros (pas écouté le dernier). Leurs albums sont toujours aussi bons, mais on ne se passionne plus autant. Moins peut etre que s’ils prenaient un gros virage pas forcément réussi…
bien d’accord, c’est différent,
Sigur ros est un bon exemple en effet, même si j’ai tendance à croire qu’il sont juste devenus chiants ;-)
nous auditeurs sommes peut-être coupables, d’ailleurs, d’envies de nouveauté, de surprises…
Certains se banalisent malgré les virages, le dernier album de damon albarn n’a pas eu beaucoup d’écho, il fait sans doute trop de choses.
Les Tindersticks ont une meilleure cote qu’il y a 4-5 ans, pourtant leurs albums étaient-ils vraiment moins bons que les 3 plus récents? (que j’adore, soit dit en passant)
le système favorise les cycles, sans doute, la sensation de nouveauté?
Très bien vu cette comparaison du début, même si je n’ai pas vécu l’inflexion des Stones en direct, et que je suis très loin d’être fan de CP. Reste que cet album ne me désoriente pas, mais ne m’accroche pas vraiment.
Et comme je ne suis pas amoureux…
^^_
C’est très beau ce que tu décris. Ce soudain accès de lucidité que provoquerait ce disque.
C’est très beau, oui. Beaucoup plus beau que ce disque, certes pas indigne, mais auquel je n’ai aucune envie de revenir. Il faudrait toutefois que j’en réécoute la fin et que je laisse de côté les morceaux les plus “dansants” (et les plus déconcertants de sa part).
venant de toi le compliment me touche tout particulièrement, ska
Ah ouais, c’est limite un Web d’or là !