Battant : l’interview qui tape
Ca arrive parfois, un peu par surprise. On vient à un concert comme ça, par curiosité. Et on ressort la goule enfarinée, comme sorti de l’essoreuse qu’on aurait laissé branchée un peu trop longtemps.
Sur scène, Battant ça arrache, ça rend féroce et content à la fois. Je vous ai ai parlé ici. Ce trio là est aussi d’une totale disponibilité pour le public, un régal de gentillesse et de sourires irrésistibles.
Alors quand on leur propose une interview, c’est tous les trois qu’ils s’y collent, sans rechigner. Pour ceux qui préfèrent, la version anglaise est là.
A lire aussi, quelques mots de Chloe sur le site de Télérama.
Vous êtes sur le label Kill the DJ. En dehors de l’aspect humain, des rencontres, auriez-vous pu signer sur un autre label électro dans d’autres circonstances?
JOEL: Nous nous sentons vraiment chez nous sur KTDJ, et je pense qu’il serait difficile de trouver un autre label qui nous aurait consacré autant de temps et d’énergie.
CHLOE: Oui, ils ont été tellement patients. Je ne pense pas que nous aurions pu parvenir au stade de sortir un album si nous avions été sur un autre label.
TIM : C’était cool de signer sur Kill The DJ, parce que même si nous avons des côtés pop et que nous aimons la musique pop, nous n’avons aucune pression à en faire. En ce moment il y a tellement de groupe à qui on met la pression pour qu’ils soient des groupes de scène pop, plutôt que de faire une musique cool, je suppose que ça tient beaucoup au fait que les labels ont désespérément besoin d’augmenter leurs ventes dans le contexte actuel. La pop peut être super, mais je crois pas que ce soit très sain de réfléchir aux ventes quand on est en train d’écrire.
Chloé parle remarquablement bien français, et vous êtes sur un label français, bien que son nom ne l’indique pas. On dirait que pour votre génération, traverser le channel dans un sens ou dans l’autre est devenu quelque chose de banal.
CHLOE: Merci EuroTunnel.
JOEL: Les gens veulent un peu de tout, et puis l’herbe est toujours plus verte à côté alors tu es toujours en train de chercher de nouvelles villes, de nouveaux sons. Mais au bout du compte ça revient au même : soit c’est bon soit c’est mauvais.
TIM : En ce moment les français, surtout la dance française, est vraiment populaire en Angleterre, une bonne partie n’est pas mon truc, mais c’est super que les gens ne cherchent pas uniquement de la musique qui vienne des Etats-Unis ou d’Angleterre.
On va s’épargner les comparaisons avec d’autres groupes. Mais tout de même, en musique il y a des générations marquées par tel ou tel style, alors qu’aujourd’hui ça part dans toutes les directions. Est -ce que vous sentez le poids du passé?
JOEL: Absolument pas. C’est simplement la manière dont les choses ont progressé (ou régressé?). La musique est accessible très largement. C’est très difficile de définir une génération par une seule expression musicale. Maintenant je suppose qu’il y a des sous-cultures à l’intérieur des sous-cultures. Je ne crois pas que la musique a perdu en signification pour autant, il faut juste gratter un peu plus.
CHLOE: Le “poids du passé”, c’est surtout une préoccupation de journaliste, extérieure au royaume des gens qui créent la musique. Je ne vais pas nier l’influence musicale de nos prédécesseurs, mais je crois que dans notre cas elle est digérée, par une sorte d’osmose inconsciente.
TIM : Il n’y a pas vraiment de “poids du passé”, j’aime des musiques de toutes les décennies. Et autant ça peut être marrant et un bon exercice d’essayer de recréer le son authentique d’une autre époque, autant je trouve plus sain de ne pas se soucier du passé quand on écrit. De ne pas essayer de sonner “comme”… et aussi ne pas être préoccupé quand quelque chose sort qui sonne un peu comme autre chose de connu. Si vous vous souciez du “poids de l’histoire de la musique” en écrivant, ça vous encombre énormément, et vous pouvez finir comme Oasis.
Le chant de Chloé est très rythmique. C’est une de vos qualités, mais est-ce que ça explique aussi l’absence de percussions sur scène, comme vous pouvez avoir un rôle rythmique tous les trois?
CHLOE: Tim joue beaucoup de guitare rythmique.
TIM : L’absence de batteur est due en partie à notre manière de composer, et en partie je pense au fait que nous ne connaissons aucun batteur. Avoir un batteur sur scène vous contraint à avoir un son de batterie déterminé, surtout sur scène. Oui, chant rythmique, guitare rythmique, basse et claviers rythmiques, peut-être qu’on devrait creuser ça tous ensemble.
Peu de groupes (A certain ratio, Gang of four) ont réussi à avoir des morceaux à la fois très durs, secs, et en même temps avec du groove, comme sur Radio Rod ou Mark Twain. Le contraste, c’est le mot-clef de ces morceaux?
JOEL: C’est important le contraste. Nous utilisons un matériel high-tech pour faire un son lo-tech. Nous utilisons des programmations sur ordinateur pour faire les lignes de batterie.
TIM : Nous écoutons tous beaucoup de musique qui repose sur le groove, ça fait partie intégrante de notre son. Mais sur l’album ça se traduit plus comme le groove des vieux disques des années 50 et début 60. Des disques qui étaient faits pour danser. La crudité aussi est importante, je ne suis pas fan de la manière dont on polit beaucoup de disques en ce moment.
En exagérant un peu, l’album se rapproche d’une électro minimaliste ou de l’EBM, alors qu’en concert vous êtes complètement post-punk, comme si vous vous adressiez à deux publics différents. Quand avez-vous réalisé à quel point vous sonnez différemment?
JOEL: Nous avons toujours fait un peu de vacarme sur scène, mais quand nous avons commencé à enregistrer, ça ne semblait rien donner. Il faut prendre les concerts et les disques comme deux choses différentes, ça garde les choses plus intéressantes, pour nous comme pour ceux qui viennent nous voir.
CHLOE: Et nous avons toujours joué devant quantité de publics différents, principalement parce que les gens n’ont jamais trop su comment nous classer. Au début nous sonnions beaucoup plus industriel, et nous nous sommes retrouvés à jouer avec des groupes comme Nitzer Ebb, etc. Et puis il y a eu la tournée avec Ladytron, et pendant un moment nous avons été programmé dans des clubs aux heures de pointe, ce qui était un désastre complet. En tout cas, je crois que nous avons fini par trouver notre place, partiellement avec le son dépouillé de l’album, partiellement parce que les gens sont plus ouverts qu’il y a quelques années dans la musique électronique.
TIM : Ce n’est pas une décision délibérée du groupe, mais nous écoutons beaucoup d’EBM et de post-punk. Notre son n’est pas le résultat d’un “grand projet”. Nous sonnons comme nous le faisons aussi en raison de l’équipement dont nous disposions aux débuts du groupe, et en partie parce que nous écoutons pas mal de styles musicuax différents. Sur scène, je crois que ce n’est pas difficile d’avoir l’air post-punk quand on est maigre comme un clou et qu’on a l’air en colère.
Sur scène, entre votre son et l’énergie de Chloé, vous devenez un ouragan, et dès que c’est fini vous êtes très disponibles pour le public. On dirait que vous avez une relation très forte à la scène.
CHLOE: Chaque concert est différent. J’aime penser que nous répondons au public et réagissons à lui autant que nous donnons le ton et l’ambiance du concert. Parfois c’est un bordel beurré, parfois c’est super intense, et quelquefois c’est un peu glauque (les bonnes choses ne peuvent pas se produire tout le temps). C’est plus intéressant pour tout le monde. Ce serait l’enfer de faire la même chose soir après soir.
JOEL: Nous pouvons montrer un aspect différent du groupe. Nous ne sommes pas aussi froids sur scène que ce que le disque pourrait laisser croire.
TIM : Nous avons fait un bon paquet de concerts! Plus tôt, nous restions assez immobiles parce que nous avions le trac. Faire des concerts est probablement ce que je préfère dans le groupe, au fil des années les réactions ont été assez variées, et j’aime l’idée que nous puissions mettre tout le monde d’accord.
Merci Battant !
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Trois lettres magiques (EBM) et une interview très sympa : va falloir que j’écoute ça vite fait, mais alors vite hein !