Bat for lashes, l’interview en VF
Même situation, même principe que précédemment : vous avez la présentation et l’interview originale audio en anglais ici.
Ou la traduction écrite ci-dessous. For yours eyes only…
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Bonjour Natasha Khan. L’an dernier dans une interview vous avez dit « Bat for lashes est mon être musical », est-ce que vous pouvez nous en dire un peu plus?
Natasha Khan est différente de Bat for lashes. Si j’ai appelé cela Bat for lashes, si je ME suis donné ce nom, c’est parce que c’est la partie de moi qui compose de la musique, crée des oeuvres visuelles, des productions théâtrales… tous les aspects créatifs qui sont en moi. Mais c’est aussi parce que ce n’est pas le nom d’une seule personne. C’est bien pour moi car j’aime jouer avec différentes personnes sur scène, ou avoir des gens différents sur chaque album. C’est un nom de projet, ce qui donne beaucoup d’espace, mais c’est vraiment moi tout de même, c’est moi qui écris les chansons, les paroles, c’est vraiment ma propre vision. Mais il y a une différence, parce que j’ai envie d’être simplement Natasha quand je fais la lessive, quand je me fais du thé, être juste une personne ordinaire.
Mais est-ce que ça va jusqu’à dissocier la vie de l’artiste de la vie ordinaire?
Non, parce que l’art, la musique, est tellement ancrée en moi que je ne peux pas me scinder en deux. C’est quelque chose que je sens, à quoi je pense tout le temps, j’entends des chansons, je joue du piano tous les jours, c’est un langage qui me permets de m’exprimer tout aussi bien que les mots. Il n’y a pas une frontière nette entre les deux, c’est imbriqué dans ma vie et je ne peux pas dire qu’une partie est moi et une partie serait quelqu’un d’autre.
Vous jouez de nombreux instruments, vous avez co-produit votre album, qu’est-ce qu’on vous a enseigné et qu’avez-vous appris seule?
On m’a enseigné le piano assez jeune. Pendant un certain temps, j’apprenais la musique des autres, de la musique classique, mais assez rapidement cela m’a ennuyé et j’ai eu envie d’avancer, de jouer mes propres improvisations et compositions.
Très jeune?
Vers 11 ans. C’est un désir naturel pour moi. Pour les autres instruments, j’ai appris toute seule, comme la guitare, ça n’est pas si difficile, pour moi vous essayez des choses et vous apprenez… l’auto-harpe, les percussions, les petites machines… j’aime ces sons. Quand on a une base de piano, on peut l’utiliser pour beaucoup d’instruments, parce c’est percussif, mais il y a aussi les accords, le pincement des cordes. La guitare, la harpe, l’autoharpe, il y a des similarités entre elles. Je ne suis virtuose à aucun instrument, mais le piano est mon meilleur instrument, ce qui est bien parce que le piano traduit assez bien ce que je veux dire musicalement. Si ensuite j’ai envie de plus de virtuosité, je vais jouer avec quelqu’un d’autre, qui a toute une vie de pratique sur son instrument.
Vous avez produit votre album avec quelqu’un d’autre (David Kosten). D’abord, est-ce que vous avez envie de produire les prochains disques toute seule?
Alors, pour ce disque, j’avais depuis le début une vision très forte de ce que je voulais, et je ne veux pas faire de compromis sur mes idées. C’est difficile de trouver quelqu’un capable de mettre son ego de côté pour simplement essayer de vous aider à mettre en oeuvre votre vision. David Kosten a été vraiment bien. Pour ce premier disque je n’avais pas d’expérience. J’ai étudié les arts visuels, le cinéma et la musique à l’université, alors je comprends le studio, la technique, je peux produire ma propre musique. Mais je voulais quelque chose de plus panoramique que ce qui était dans mes cordes. C’était un véritable enjeu technique. Ce n’est pas uniquement le son lui-même, ça tient à mon désir de créer une atmosphère, de donner une texture, une couleur très cinématographique, avec des odeurs, des images, des sons. Je voulais que ce soit un univers corporel entier. Alors j’avais besoin d’aide. Dans le futur j’aimerais produire mes albums à un certain niveau. Pour le prochain album, je pense que je serai suffisamment forte pour dire non, oui, non, oui, je crois que je peux faire confiance à des gens pour m’assister. Alors à mesure que ma confiance en moi grandit en studio, je pense que je le ferai, plus tard.
Vous ne voulez pas faire de compromis. Outre la production, pour la composition, les arrangements, est-ce difficile de partager le processus créatif?
Au tout début, quand j’écris une chanson, c’est un moment très privé, il n’y a personne avec moi, à l’exception « des muses » (rire). Cela vient de manière très pure, très vite, d’une intention très claire, et je m’en empare avec un beat, une basse, des accords, peut-être des cordes qui viennent, des claquements, puis je trouve la voix… j’ai une bonne partie de la chanson. Ensuite, pour les concerts, je joue avec mes trois amies, qui font aussi leur propre musique de leur côté, et comme j’ai confiance en elles, en leur style, elles peuvent interpréter ma chanson, arranger leur propre partie. Parfois je leur dis ‘je veux que vous jouiez ça’, et d’autres fois je leur demande ‘qu’est-ce que vous voulez là, qu’est-ce qu’on devrait essayer?’ et elles jouent quelque chose et je dis ‘je préfèrerais que ça monte ici, ou comme ça’, pour le live c’est une collaboration. Mais pour l’album, principalement, majoritairement, c’est moi qui décide, sauf pour certaines parties, c’est assez près de ce que j’avais en tête.
Alors j’aime partager, mais j’ai sans doute besoin d’abord d’extraire quelque chose de pur de moi. Et ensuite je voudrai plus de collaboration, parce que je sentirai que je tiens mon idée et il y a plus de place ensuite. Ca doit venir de moi, d’abord.
Vous avez dit que vous avez étudié les arts graphiques… et le cinéma aussi?
Oui, j’ai étudié le cinéma, l’animation, la photographie, la scupture, le dessin, j’ai plus étudié les arts visuels que la musique. J’ai étudié dans ma petite école, puis le bac, j’ai fait une école d’art, où vous touchez à tous les arts visuels, et le diplôme était partagé à moitié entre les arts et la musique. Je touche à beaucoup d’arts. Pour l’album et les single j’ai fait les illustrations.
Est-ce que vous avez eu à imposer ce choix?
Naturellement, à mesure que l’album prenait forme, j’ai voulu faire ces dessins, les personnages et les paroles me venaient de manière très visuelle et j’ai voulu les coucher sur le papier. Peut-être que la prochaine fois je voudrai faire des photos ou un court métrage, je ne sais pas, mais cette fois ci c’étaient des illustrations.
On dirait que les images viennent en même temps que la musique, pas après-coup.
Oui. Oui, c’est un processus continu. Je pense à des tas d’images, puis à la musique, puis les images, ou les deux ensemble, ou alors séparément, c’est comme réfléchir, ou discuter, c’est une fonction cérébrale normale, c’est toujours en fonctionnement. Je pense que ce sont comme des jumeaux. Les deux s’équilibrent, se valorisent l’un l’autre.
En parlant d’images… vous avez tourné des vidéos de certains titres, pas tous, notamment pas The wizard. Vous avez une idée précise de ce que ce titre donnerait en vidéo?
Pour the wizard, quand j’ai dessiné la pochette, avec la tête de lion, le garçon avec la tête de lion ou de tigre, et la fille, parce que c’est de ce type de relation que parle la chanson, je n’ai pas pensé à la vidéo. Si je pense à la vidéo…
Alors les images ne viennent pas systématiquement?
Quand j’écris la chanson, si, j’ai des images en tête. Mais elles sont privées, parfois, secrètes. Et d’autres fois il y en a que je veux communiquer. Chaque fois que j’écris une chanson, il y a des images, une histoire, mais parfois c’est quelque chose que je dois garder pour moi, et d’autres fois je peux m’en expliquer. Je ne pourrais pas faire une vidéo pour the wizard parce que c’est trop personnel, j’ai écrit la chanson pour moi. Je ne saurais pas comment, ce ne serait pas une représentation littérale de ce que j’avais en tête en l’écrivant, parce qu’il s’agit de personnes que je connais.
Ce serait déloyal?
Oui. Peut-être. Ou tout simplement c’est mieux de laisser de la place pour que les gens se fassent leur propre histoire. (rire)
Vous parlez beaucoup d’animaux, vous avez appelé votre label She-bear (l’ourse), vous ne voyez pas les animaux d’un côté et les humains de l’autre, ils sont liés.
Oui, j’ai toujours été attirée naturellement par le folklore, les contes, et le shamanisme, le symbolisme lié aux animaux, les attributs des animaux dont les humains ont appris ou qu’ils ont imité, la médecine amérindienne que les animaux vous donnent. Et je rêve beaucoup, je vis près de la mer, j’ai grandi au milieu de la nature. Il y a quelque chose, dans les caractères et les personnages, qui me fait plutôt penser à des animaux, à cause des archétypes, la symbolique animale est un moyen simple de communiquer une idée. Par exemple le lion est royal et loyal… parfois il est plus facile de décrire un personnage par un animal qu’en tant que personne. Et c’est aussi très visuel. C’est difficile à expliquer, mais ça m’est naturel de concevoir des personnages à partir d’animaux.
Et les paons? Vous avez l’air de bien connaître la symbolique animale, et le paon représente traditionnellement l’immortalité.
Eh bien… (rire) je ne sais pas pour les paons en particulier, mais pour ce qui est des plumes -j’ai un tatouage de plume (elle me montre ses avant-bras) et un de chauve-souris – on dit que les plumes représentent l’envol, la transcendance, la relation entre la terre et le ciel, les cieux. Et pour moi, la musique est un voyage spirituel, elle met en jeu ma relation avec quelque de plus grand que moi. Je puise dans cette immense source créative, et j’en fais quelque chose de communicable aux autres. Alors les plumes… il y a beaucoup de mythologie, d’histoire, de folklore derrière tout ça, c’est ce qui me parle en premier. Et puis le paon est assez m’as-tu-vu, reine de la nuit, ce que je suis aussi parfois (rires). Mais ça va, ça va. (rires)
Vos chansons sont très structurées. Elles montent vers un climax.
Et elles retombent.
Oui mais en douceur, on se pose doucement.
Et tout va bien.
Certaines chansons ont ce côté, elles montent vers un point où l’on est suspendu très haut puis redescendent. Mais dans d’autres, j’aime rôder, elles sont plus terriennes, plus sexuelles, elles sonnent plus terre-à-terre. Il y a bien cette transcendance, éthérée, mais dans le même temps il y a du sombre, un côté obscur. Je trouve que les choses sombres sont belles, ce qui est dur, difficile, ce qui nous met à coeur ouvert. Il y a de la beauté dans la noirceur, il y a une lumière de l’obscurité.
Comme les diamants…
…qui sont enterrés profondément, exactement… cette étincelle. Et si vous réussissez à la trouver, à l’attraper rien qu’une minute, cela vous permet de traverser toutes ces soufrances qui font un être humain.
Le côté terrien de vos chansons, la dimension animale, correspondent aux claquements de mains, très organiques. Sur Priscella, les claquements de mains sont plus qu’une percussion humaine, ils sont l’instrument principal.
En effet. Pour Priscella, j’écoutais Alan Lomax, qui a enregistré des blues dans les pénitenciers, et je pensais à ces auvents de maisons, ces maisons où les gens font des percussions avec les pieds, et les instruments en bois qu’ils utilisent, et à l’histoire du corps comme instrument. Il y a quelque chose de très tribal en nous, quelque chose ancré en nous qui nous pousse à faire des sons avec notre corps. Avec cette chanson, je voulais que ce soit des gens, comme une famille ou des amis, sur un sol en bois, faisant un rythme avec ce qu’ils ont sous la main. Il y a un côté tribal, le sentiment d’une communauté, d’êtres humains rassemblés, et c’est bon. Alors que dans What’s a girl to do, les claquements de mains sont très différents, quand on a enregistré j’ai dit que je voulais que ça sonne comme vingt filles de 10 ans dans une école de ballet en 1970. Des gamins du passé tapant des mains. J’aime les claquements de mains, et les utiliser de manières différentes.
Et dans Priscella ils sont particulièrement complexes.
Merci. C’est sans doute aussi grâce à David Kosten, que ça sonne bien.
Dans beaucoup de vos morceaux, vous commencez très progressivement, avec d’abord un seul instrument, qui installe une atmosphère mais ce qui commence c’est un rythme, une pulsation.
La pulsation, le rythme, c’est que chose avec quoi je bataille parfois, pour essayer de rendre une chanson plus groovy. J’ai conscience de ce que je ne veux pas faire. J’aime danser, j’aime le hip hop, la grime music (un genre anglais récent très dansant, n.d.l.i), j’aime sortir danser. Danser, bouger, c’est vraiment important pour moi, ça vient du corps. Il faut que le rythme ne soit pas tenu à l’écart des chansons, et ensuite le côté ésotérique, la texture, peut aller et venir, pour moi ça créé un intérêt, ça change, ça rend le tout plus fluide, mais il faut que la fondation soit solide. Pour les prochaines chansons que j’écrirai, je veux encore plus de beat, je veux que ce soit plus corporel, que ça parle au corps entier.
Plus groovy, comme vous disiez?
Oui… groovy ! (rires)
Est-ce que vous diriez que vos chansons sont consituées de couches successives, la première étant rythmique, et chacune reste simple mais l’ensemble forme un tout complexe.
C’est probablement vrai. Quand j’écris une chanson, je fais une partie, puis une autre, je fabrique quelque chose, et ensuite à l’évidence en studio on ajoute quantité de détails, on met des couleurs. C’est sans doute pour cette raison que ça sonne épique et plein, parce que j’aime un son très rempli, mais c’est bien de rester très simple. Si tout est compliqué ça devient le chaos. Plusieurs éléments simples agencés ensemble forment une structure stable. Parce que je veux être une bonne songwriter, je ne veux pas faire de l’avant-garde, de la noise, j’aime en écouter mais ce n’est pas pour moi. Je veux être structurée, et réussir à être une bonne songwriter, et ensuite seulement, peut-être que j’essaierai quelque chose d’autre. Alors, c’est parfois bien de faire simple.
Une bonne songwriteuse, mais aussi une bonne chanteuse : le chant reste toujours devant.
Oui, c’est en haut de l’ensemble. La voix est importante, parce que j’essaie de dire quelque chose. L’émotion de la voix est un instrument à elle seule. Je suis une conteuse, je raconte des histoires. Quand j’écoute des conteurs, la musique est derrière mais la voix vous parle et vous attire avec elle. J’aime cette intimité, j’aime que lorsque les gens m’écoutent ils aient l’impression que je suis tout près et que je leur raconte quelque chose qui a du sens. Je suis frustrée quand une voix est totalement imbriquée dans la musique et qu’on n’entend pas les paroles, c’est frustrant. Alors c’est juste un choix de style, mais…
Alors chanter avec Josh Pearson doit avoir beaucoup de sens pour vous, ce n’est pas seulement chanter avec quelqu’un d’autre, c’est aussi chanter avec un homme.
Les voix d’hommes que j’aime ont généralement une part de féminité, mais aussi un côté masculin, un truc bien sexy, et sa voix est un ange et un diable mélangés ensemble. Il y a une douleur, une noirceur en elle, mais aussi il a aussi ce magnifique falsetto. Je voulais un partenaire de chant, mais je voulais aussi un côté masculin pour contre-balancer ma voix, parce que je peux être très féminine quand je chante. C’était très sympa, on a passé beaucoup de temps à improviser, à chanter des vieux gospel, j’ai vraiment aimé le son de ma voix mélangée à celle d’un homme. J’aime chanter avec des hommes, c’est bien.
Mais vous jouez avec des femmes.
Oui, parce que là, avec l’album je pose qui je suis. Une force, une force féminine, avec des qualités fortes et féminines. Ca ne veut pas dire un truc de gamine ou de la faiblesse, au contraire maintenant en concert il y a beaucoup de puissance. Quand on nous voit, nous savons ce que nous faisons, nous sommes des musiciennes compétentes, et sur scène nous avons un vrai propos. Et je pense qu’on est en train de le développer, l’album est encore un peu frais, j’avais un peu des réticences, mais maintenant la puissance est en train de grandir. Sur l’album j’avais sans doute besoin d’une voix d’homme pour équilibrer, mais maintenant je suis assez satisfaite, quels que soient les musiciens, j’ai plus confiance en moi, et je ne sais pas ce qui se passera pour le prochain album.
A la fin de l’été vous jouerez sur la scène d’un des plus gros festivals rock de France, Rock en Seine. Sur une scène aussi grande, est-ce difficile de conserver votre mise en scène, votre dimension visuelle très travaillée?
La taille de la scène, ça n’est pas si terrible, tant que ce n’est pas de jour ça n’est pas trop difficile. Pour moi c’est une question d’obscurité, d’atmosphère, les chansons de l’album sont très liées à la nuit, c’est ça qui est plus dur pour moi. Alors peut-être que je vais faire une mise en scène un peu dingue pour ce festival (rire), pour créer l’atmosphère. Heureusement, la musique parle par elle-même, mais c’est plus difficile pour moi d’entrer dedans en plein jour. Oui, c’est difficile, j’aime les concerts plus intimes, la nuit. Alors on verra.
Mais être dans un tel festival c’est aussi une reconnaissance.
Oui c’est bien, c’est excitant. Ca fait un peu peur aussi. (rire) Mais je pense qu’on s’en sortira bien.
Merci beaucoup Natasha :-)
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