Anna, c’est de Gainsbourg? Pas exactement.
On n’est pas à un mensonge près, ici, dites-donc.
Car Anna, le téléfilm de Pierre Koralnik, fait bien plus penser à Jacques Demy ou même William Klein, qu’aux films réalisés plus tard par Serge Gainsbourg.
Alors, Anna. Plus gai que Slogan, dont je vous parlerai également, Anna est un film de 1967.
Téléfilm exclu-sivement, jamais com-mercialisé, on ne peut se procurer que sa bande originale et croiser les doigts pour que les programmateurs télé n’attendant pas trop pour le rediffuser.
C’est important l’année, 1967. C’est une année majeure dans le monde, parce que l’explosion internationale de 1968 est nettement en préparation. Pour la musique occidentale, c’est un apogée de la pop et du rock, du rock surtout. L’année du summer of love anglais, du festival magique de Monterey, une année de chef-d’oeuvres nombreux.
En France, ces chefs d’oeuvre des Beatles, des Kinks, des Beach boys, de Jimi Hendrix, Led Zeppelin ou de Pink Floyd, sont traduits par le filtre franchouillard du style “yéyé”.
Et comme Boris Vian son ami exécrait le rock mais en écrivit plusieurs à succès, Gainsbourg qui regardait de haut les yéyés excellait à les imiter. Sans yéyés, pas de victoire à l’Eurovision avec France Gall, passeport pour la célébrité.
Alors Anna, en 1967, est un peu le noeud, le coeur, de la filmographie de Gainsbourg, qui signa tout de même près de 50 bandes originales et joua dans autant de longs métrages.
Tout y est.
En 1966, William Klein réalise un film hyper moderne, complètement pop, magnifique, Qui êtes-vous Polly Magoo?, dont la rigueur esthétique est aussi ferme que la narration éclatée est délirante. Il retrouve Gainsbourg en 1969 pour Mr Freedom, où il joue et dont il écrit la BO.
En 1966, Antonioni signe l’une de ses perles, Blow up, et fait débuter à l’écran Jane Birkin (qui rencontre Gainsbourg en 1969). La BO est de Herbie Hancock, mais il dissimule son style et laisse même la place le temps d’une scène “live” aux Yardbyrds. Un son garage londonien que Gainsbourg n’oubliera pas. Et puis c’est une histoire de photographe, déjà…
En 1967, Demy sort Les demoiselles de Rochefort, avec encore une (future) égérie de Gainsbourg. Une comédie musicale, pour le coup.
Car dans Anna, presque tout est chanté. Chanté souvent approxi-mativement (Anna Karina), voire vraiment très mal (Jean-Claude Brialy).
A vrai dire Brialy chante tellement faux que par moment on entend distinctement la voix de Gainsbourg prendre le relais le temps d’une phrase ou deux, d’un refrain… Comme un clin d’oeil à Demy, dont les acteurs ne chantaient presque jamais (et surtout pas Deneuve).
Pierre Koralnik réalise aussi Cannabis en 1970, toujours avec Serge Gainsbourg… et Birkin. Quant-à Michel Colombier, qui dirige l’orchestre, c’est avec Alain Goraguer son autre grand partenaire de bandes-originales. Gainsbourg n’aurait sans doute jamais été si grand sans les grands orchestrateurs dont il s’est systématiquement acoquiné.
Voilà dans quel ensemble baigne ce film, tout ce à quoi il se rattache, difficile de faire plus central.
Si je parle de tout sauf du film, c’est qu’il se résume en peu de mots.
Brialy, chef d’une agence de pub, photographie par hasard Anna Karina sur un tournage, tombe fou amoureux de son regard qu’il placarde partout dans Paris dans l’espoir qu’on l’aide à la retrouver.
L’obsession vire au cauchemard, le petit Brialy ne fait plus ses nuits. A la place il picole avec son assistant Gainsbourg dans les boîtes à la mode. Ses tantes croient même le guérir en lui collant des mignonnes dans les pattes.
Mais même le charme éthéré de Marianne Faithful n’y fait rien, c’est vous dire s’il est grave atteint quand même.
La morale de l’histoire est aussi simple que l’intrigue, mais elle-aussi est bien de son temps. Le personnage de Brialy est si obsédé par l’image de ce regard, photoshopé avant l’heure, qu’il ne s’aperçoit pas que cette femme vient d’être embauchée chez lui, qu’ils se sont même parlé.
Fausseté de l’image, leurre de l’apparence. Quand je vous disais que les films de 1967 préfigurent 68. D’ailleurs le ballet d’ouverture, à grand coup de pots de peinture, simule un combat au corps à corps, assez antimilitariste.
La musique de Gainsbourg est parfaite, elle gagne à être vue avec le film, le mariage est très réussi. Contrairement à Slogan qui ressasse le thème de quarante manières jusqu’à épuisement du spectateur, on a un véritable travail de fond, une comédie musicale légère mais pas bête.
Plongés dans l’image, C’est la cristallisation, disait Stendhal, Sous le soleil exactement (avec une Anna à couper le souffle sur sa plage grise), ou Comme un boomerang, vous feront comprendre instantanément pourquoi ces titres sont devenus des classiques.
Je ne sais quelle obscure raison juridique ou commerciale fait que le film n’est pas édité, mais c’est un peu injuste. Le disque a eu un succès phénoménal, mais le film n’est pas mal du tout pour qui cherche une sucrerie du dimanche soir, et le son perd même un peu sans ces images.
Les plus ermétiques au kitsch invoqueront un style vieilli et vieillot, les amateurs d’opéra reconnaîtront la minceur habituelle de leurs livrets mais sans la qualité du chant. Les autres enfin, ceux qui n’arrivent pas à trouver Demy démodé ni à se lasser de Polly Magoo, se laisseront charmer.
A condition de ne pas attendre plus de ce film que ce qu’il veut donner, on samusera, on chantera, et on se dira que finalement, Gainsbourg était vraiment un snob. Car pour réussir à ce point à faire le yéyé, il ne pouvait pas les mépriser autant qu’il voulait bien le dire.
N’est-ce pas, vieille canaille?, semble lui souffler Eddy Mitchell dans une fugitive apparition.
Je n’ai jamais vu le film en entier… Que des extraits sur YouTube et la B.O. bien sûr… Inoubliable Roller Girl…
Intéressant parallèle avec Blow Out que ce point de vue sur l’image, l’apparence, le réel qui se dérobe aux yeux du personnage principal.
Petite rectification toutefois, ce n’est que sur le tard que Deneuve a chanté pour Gainsbourg, certainement pas au moment où elle tournait dans Les demoiselles… Ainsi, parler d’elle en “égérie de Gainsbourg” en 1967, ne me semble pas tout à fait juste… Mais je me trompe peut-être…
je mélange copieusement les chronologies, donc ta précision est bienvenue :-)
C’est plus tard que Deneuve chante gainsbourg, mais bien en 67 qu’elle est demoiselle de rochefort, en effet.
j’écris par ellipse, l’idée était de souligner que Anna est “au milieu” de la carrière de Gainsbourg.
Bon. J’adore Polly Magoo, je suis moins accro à Demy (non, Ska, pas taper ^^) mais je pense que ça fait un bagage suffisant pour s’attaquer un de ces 4 à Anna.
Curieux comme les chansons du film sont effectivement devenues des classiques alors que le film lui-même m’était totalement inconnu !
Sauf le petit décalage temporel qui relève, effectivement, de l’ellipse, un style cher à Lou et à Godard, rien à redire.
Anna et Brialy chantaient déjà ensemble en 1961.
“Tu es infâme”
“Non, je suis une femme”
Quant à Polly Magoo, ce n’est sûrement pas très connu ni très couru - la dernière programmation télé, à ma connaissance, date de la fin des VHS, vers les DVD à peine émergents.
Et Jacques Demy est un inventeur, un génie si on préfère.
C’est marrant, je croyais que c’était de Gainsbourg…
noir
pas exactement :-)
c’est pour le jeu de mot ou tu parles du film, christophe?
il s’est mis à la réalisation 9 plus tard, en 1976
non, je parlais de la BO.
que je croyais de gainsbourg.
mais bon, vu que tu dis que non, je…
euh…
bon, je vais cuver.
blanc
ah ah alors :o)
On a coutume d’attribuer un film à son réalisateur, d’où mon “pas exactement”, même si pour une comédie musicale c’est plus subtil, cf. West Side Story.
Mais qui songerait à dire “les demoiselles de rochefort sont de michel legrand”?
n’est-il pas?
b’en ui, vu qu’elles sont de rochefort.
…
blanc
Je ne sais jamais comment dire, sans niaiserie, qu’un article m’a fait rire : là j’ai ri en tout cas.
Marianne Faithfull vs Anna Karina : un combat sans merci. Tu préfères laquelle, toi?
Je n’avais pas du tout connaissance de ce film et cela m’intrigue beaucoup, j’ai très envie de le voir, ça va pas être facile on dirait.
Mine de rien, je trouve le pitch du film pas mal du tout.
merci magda ^^
à l’écran, anna karina sans hésitation,
et pourtant faithfull est une actrice de grande classe :-)
si tu n’as pas encore vu “intimité” de Chéreau, je te le recommande.
Mais comme personne, bigger than life, Marianne ne craint personne :-)
Bien sûr que j’ai vu Intimité, c’est même un de mes films préférés, mon préféré de Chéreau en tous les cas, et tous les acteurs y sont exceptionnels… As-tu vu Irina Palm?
Je travaille depuis trois ans sur le making of du film Anna.
Pour plus d’infromation, je vous recommande le dossier que j’ai publié sur mon site http://www.ruedescollectionneurs.com (voir lien ci-dessus).
Voici le lien exact sur le film ANNA de Pierre Koralnik.
http://www.ruedescollectionneurs.com/magazine/mag/anna.php
Mon site personnel
http://www.jeansegura.fr/accueil.html
merci Jean :-)
poursuivez l’aventure
Qui a dit qu’il s’agissait d’un film de Gainsbourg ? Je n’ai jamais vu çà nul part ! Par contre la bof, oui . Et elle n’est pas entierement chantée, le disque ne présente que la moitié de la musique utilisée . Il existe une version complete de la bof avec beaucoup de versions instrumentales ainsi que des chansons non présentes sur la version simple .
Ne pas oublier également le dialoguiste : Jean-Loup Dabadie.
Depuis longtemps à la recherche de cet OVNI de P.Koralnik, je viens de la trouver sur le site de l’INA :
http://www.ina.fr/divertissement/varietes/dossier/1687/anna-comedie-musicale.20090331.fr.html
J’attends de recevoir le DVD avec impatience.