à la une, à la deux, à la trois…
Vous le savez déjà, si vous lisez la “presse spécialisée” (nan, pas les bouquins de culs, l’autre spécialité estivale, la zizique !), la fondation Cartier présente jusqu’à la fin septembre une exposition consacrée aux débuts du Rock : 39-59, rock’n'roll.
Je l’ai vue avant de partir en vacances, mais ce n’est pas seulement le besoin de m’éloigner du clavier qui me fait vous en parler si tardivement.
Sorti de l’expo, je hume la douceur de l’air parisien en remontant le boulevard Raspail, et je vois une femme et une petite fille dont les achats trahissent qu’elles viennent du même endroit que moi. Je les hèles et demande leur sentiment. Oui, elles ont aimé l’exposition, oui elles ont appris des choses, et donc oui elles sont contentes. La plus âgée doit avoir la cinquantaine, et la plus jeune voisine la douzaine d’années (la fille? la petite-fille?).
Eh bien je les envie, car pour ma part j’ai été déçu par cette exposition. Et malgré tout je ne vous dissuaderai pas d’y aller, une occasion d’écouter du bon rock’n'roll ne se refuse pas. Mais je vous ferai quelques recommandations.
Le bâtiment de Jean Nouvel vous ouvre les bras et voilà qu’on vous tend un programme (plutôt un prospectus, à dire vrai) ainsi qu’un CD de 4 titres bien trouvés. Alors que vous les saisissez, on vous suggère de débuter par le documentaire diffusé au rez-de-chaussée. “Il vient de commencer il y a quelques minutes”, me dit-on pour éliminer toute réticence. Et pourtant, j’aurais dû en avoir, ne serait-ce qu’à cause de ces mots, “depuis quelques minutes”, qui sous-entendent que le film en question va encore durer nettement plus de “quelques minutes”.
Le film de Patrick Montgomery et Pamela Page est long, intéressant mais long, 50 minutes !, et je vous suggère soit de le voir en dernier, soit de le voir avant déjeuner et de continuer l’expo après avoir fait un break dans le jardin. En tout cas, je ne crois pas utile de le voir entièrement.
Car malgré ses qualités, cette exposition souffre de 3 inconvénients. D’abord, le film fait tellement redondance avec la moitié de l’exposition qu’il sert surtout à nous frustrer. Ensuite, la musique ne se prête pas facilement à une exposition, surtout lorsque celle-ci se veut aussi “pédagogique”. Enfin, et je vais développer, le parti pris annoncé par le titre de l’exposition est si peu et si mal exploité qu’on se demande s’il a la moindre pertinence.
Nous y voilà.
1939-1959.
Si vous avez déjà lu des explications, même brèves, sur la naissance du rock’n'roll, vous avez retenu qu’il est né dans la première moitié des années 50, et que le Rock around the clock de Bill Haley and the Comets en est l’un des actes de naissance. Si l’on nous fait remonter avant-guerre, il doit bien y avoir une raison. L’idée la plus évidente est que le Rock’n'roll (le rock, tout court, plus vaste et différent, nait pour sa part dans les années 60) trouve son origine, ses prémisses, dans cette période.
Or ce parti pris génétique, généalogique, ne va pas de soi. Car on aurait aussi bien pu remonter aux débuts du blues dans le premier tiers du XXe siècle. J’étais intrigué par la chronologie annoncée par le titre de l’exposition, et je salivais d’avance de voir comment elle était savamment et clairement exploitée. Or elle ne l’est guère que dans la 3e partie de l’exposition, la plus brouillonne. On est loin de la belle logique présentée ici par un des responsables de l’exposition.
Il est donc temps que je vous détaille le déroulement de l’exposition. Le cheminement prévu est de débuter par le film, diffusé sur un très grand écran. Puis, toujours au rez-de-chaussée, on traverse une reconstitution de l’ambiance de la première époque Elvis. Une belle série de photos d’Alfred Wertheimer nous attend dans la première salle, avec un jeune Elvis plus sexuel que jamais. Puis viennent les objets, une cadillac décapotable, de magnifiques postes de radio en bakélite, la reconstitution du studio des fameux Sun Records où débuta notamment Elvis, un mur entier de juke box rutilants, et enfin une table où, casque sur les oreilles, on peut consulter les fac simile des magazines de l’époque destinés aux jeunes fans de rock’n'roll.
Cette partie de l’expo est la plus claire, la plus lisible, on a l’impression de traverser le tournage d’American Graffiti et c’est délicieusement régressif.
La troisième partie de l’exposition, la plus ambitieuse, échoue malheureusement à concilier ses trop nombreux objectifs. Elle se voudrait à la fois pédagogique, graphique, et monographique. C’est un peu trop pour 300 mètres carrés et on en sort la tête farcie voire, plutôt, confite.
La meilleure idée de l’exposition nous attend au pied des escaliers tapissés de splendides pochettes de 33 tours. Un mur figure un long arbre généalogique qui relie les années 30 aux années 60. Des casques permettent de se brancher sur tel ou tel nom, situé dans cette chronologie, pour entendre un morceau. On peut ainsi comparer instantanément les époques, constater les emprunts ou les évolutions, et mettre un son sur une cinquantaine de noms, à son rythme. J’aurais aimé que ce mur nous acceuille à l’entrée de l’exposition et qu’on le retrouve à plusieurs endroits. Car ce mur est le seul qui réponde explicitement au titre de l’exposition, et il n’a que des qualités.
On tombe ensuite sur une quinzaine de tables-vitrines, doublées par les vitrines des murs. Chaque table tente maladroitement de faire le point sur une époque et un style, avec 2 ou 3 textes explicatifs et une floppée de photos et couvertures de disques. Boogie woogie, blues, negro spirituals, country, rock’n'roll, sont ainsi exposés séparément et avec de si pauvres commentaires qu’on ne sait comment les relier l’un à l’autre. A nous de chercher, dans tout ce barda, le sens du titre de l’exposition.Ces vitrines ne sont ni suffisamment graphiques ni suffisamment explicatives pour être réussies.
La deuxième moitié de la salle s’en sort vaguement mieux. D’une part un mur nous présente année par année les faits saillants liés au thème de l’exposition, que l’on peut lire, pour chaque année, en écoutant au casque un commentaire assorti d’extraits. Le mur est un peu chiant mais les commentaires sont intéressants. Demi-déception, donc. Le mur est longé par des sortes de boxes consacrés à quelques figures, Eddie Cochran, Fats Domino, etc. Vêtements sur une face, pochettes de vinyls sur une autre, et une sorte de cabine permettant d’écouter quelques titres et un commentaire monographique (en français, je me demande comment font les autres, vu que le plus intéressant est dans ces commentaires).
Enfin, on peut retrouver un peu de lumière sur la mezzanine du 1er étage. La sélection de la librairie n’est pas mauvaise mais un peu courte à mon goût et propose trop peu de livres étrangers, alors qu’on a si peu de lieux pour s’en procurer de bons sur le rock. A l’autre bout, on peut s’assoir pour piocher à notre guise parmi une sélection de 200 titres. Parfois on tombe sur un boogie woogie ou un vieux blues, qui nous rappelle que cette expo ne nous a toujours pas informé sur la nature du lien entretenu avec le rock. Mais au moins on écoute de la bonne musique et on peut choisir les morceaux.
Bon, ne soyez pas effrayé par mes récriminations de pisse-froid. La plupart des photos sont très belles, j’ai adoré détailler les pochettes de disques d’époque, et cette plongée dans les années 40-50 reste très agréable.
Mais on voit bien la difficulté de faire une exposition visuelle autour de la musique, et plus encore la nécessité de ne pas multiplier les objectifs si l’on veut tenir le difficile pari pédagogique de la généalogie d’un style. C’est d’ailleurs le défaut qu’on trouve dès le premier documentaire, qui se borne à présenter par ordre d’arrivée les différents rockeurs, juxtaposant les portraits. Télérama a le mérite, sur son site, d’avoir un parti pris certes restrictif mais clair, lisible, en 4 vidcasts consacrés à des pionniers.
En résumé cette exposition est agréable, mais je doute qu’elle permette d’en apprendre beaucoup, en tout cas certainement pas d’illustrer son titre par trop ambitieux. Disons qu’elle reste un bon prétexte pour passer à la fondation Cartier, que j’aime toujours autant.
10h-20h, fermé le lundi.
Jusqu’au 28 octobre 2007.