“A”, comme Alternate take
Vous voulez vous la péter comme n’importe quel amateur de jazz?
Facile : faites celle ou celui qui n’écoute que des “alternate take“.
L’alternate take, c’est simple, c’est une chute de studio, la version dont on n’a pas voulu. Le fameux “ok, c’était vraiment super mec… mais on la refait”. On la refait parce que cette prise là, un poil trop ci, un tantinet pas assez cela, n’est soit pas encore à la hauteur, soit pas suffisamment proche de l’effet recherché.
L’alternate take, ça peut être tout et rien, donc. Tantôt un brouillon tantôt une véritable version alternative au sens plein. Et c’est plus facile à mettre en bonus sur un CD qu’un titre inédit.
Tout dépend de la manière dont le disque a été conçu dès le départ. Certains arrivent avec en tête leur album déjà tout préparé, d’autres vont jusqu’à composer en studio, partent de presque rien et produisent un work in progress. Tout dépend aussi de la qualité des musiciens, et du producteur. Certains vont réussir à pousser les artistes dans leurs retranchements pour leur arracher une prise qu’ils n’imaginaient pas au départ. Alors si le morceau en vaut la peine, on aura plaisir à suivre sa genèse sur un enregistrement complet des sessions. Dans les années 50 la technologie fait qu’on avait beaucoup de ces prises abandonnées (d’Elvis, par exemple).
Mais elles restent plutôt une spécialité de jazzeux, par exemple les Complete Bitches brew sessions de Miles Davis qui compilent la totalité des prises de ce chef-d’oeuvre, ou comment faire tripler la taille de l’album d’origine (beaucoup de ses disques ont eu droit à ce traitement).
De gros coffrets, un peu répétitifs surtout pour une oreille peu aguerrie ou peu familière des titres en question. Ces ”complete sessions” chers aux jazzmen ne sont pas faits pour être écoutés d’une traite comme un album, mais pour une découverte ou une réécoute raisonnée. Un truc de fan.
De Miles Davis, on pourra alors préférer le CD de Ascenseur pour l’échafaud. Les titres retenus pour le film sont assez court, et les prises alternatives sont presque aussi nombreuses.
Si ces prises sont intéressantes, c’est en raison de la manière de travailler pour cette B.O. Davis a réuni ses musiciens en studio sans avoir répété de partition au préalable, il n’avait en poche que des thèmes qui restaient à mettre en place. Les images du film étaient projetées sur un mur du studio et Miles dirigeait en direct. Tout le monde jouant ensemble.
Car les prises alternatives n’ont d’intérêt que s’il s’agit de prises “live”. C’est à dire des prises en condition de concert, où chaque micro capte le son d’ensemble et pas exclusivement celui de l’instrument dont il est le plus près (ce qui n’empêche pas de mixer savamment les pistes tirées des différents micros, mais c’est une autre histoire). Le jazz privilégie les prises live, de toute façon, seul moyen pour que l’improvisation trouve sa place.
Le rock au contraire (ou la pop), fonctionne beaucoup avec des prises de son instrument par instrument, chacun dans une cabine, chacun son tour. On peut faire autant de combinaisons que l’on veut à partir des prises, mais écouter des “prises alternatives” n’a aucun intérêt dans ce cas. Si c’est pour n’entendre que la batterie, ou que la basse ou les choeurs, c’est à mourir d’ennui et le morceau est méconnaissable. Ca ne peut servir qu’à des remix, ou pour remodeler le morceau à l’avenir. Le travail sur le son, le mixage, ont un rôle considérable et ont fait de producteurs tels George Martin ou Phil Spector l’égal des pop stars.
On trouve donc peu de alternate en rock, malgré de beaux exemples comme la réédition “augmentée” de Palo Santo de Shearwater, ou l’édition deluxe de Who’s next (vous noterez la richesse du vocabulaire ^^).
Dans la mesure où en jazz les prises sont souvent des “live studio”, les enregistrements de concert ont moins d’intérêt. A moins de prestations exceptionnelles, ils n’offrent rien de très extraordinaire, littéralement.
En outre le rapport à l’improvisation des jazzmen fait que ces live sont diversement appréciés. Un concert s’écoute en direct, si possible sur place, au pire à la radio depuis un festival, mais toujours en conservant le côté vivant et fugace de la prestation d’un soir.
En rock ou en pop, en revanche, en l’absence d’une vraie culture de l’improvisation les concerts vont être l’occasion de ressentir une énergie particulière, et de faire des arrangements éloignés du disque. Là, pas d’alternate take qui tienne.
Sauf… sauf que certains enregistrements de concerts sont en réalité une compilations de prises de plusieurs soirs d’une même tournée, pas nécessairement dans la même salle. Il y a donc bien des prises qu’on a laissé tomber.
Comme quoi la notion de prise alternative est toujours liée au “live”, sous une forme ou sous une autre :-)
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