2 mots sur la nouvelle stratégie de vente de Radiohead
Après avoir lancé des rumeurs contradictoires sur la date de sortie de leur nouvel album (présumée début 2008), le groupe a annoncé fin septembre : le titre de l’album et des morceaux, et surtout les modalités de sortie. Décembre : un coffret de 2CD + 2 vinyls + des bonus, à 40£ (60 euros, le prix de 3 à 4 albums standards), et 10 octobre, téléchargement au prix fixé par chaque utilisateur (pas de minimum obligé, et 1/3 des auditeurs prennent le disque gratuitement).
En prenant les devant, Radiohead était certain de toucher largement son (énorme) public et des millions de personnes ont réservé un numéro de téléchargement. Evidemment, dans un contexte, que j’ai décrit précédemment, où les majors du disque ont une attitude réactionnaire et à contresens des évolutions technologiques, on se dit que Radiohead va dans le sens de l’histoire.
On verra si le groupe persévère dans ce mode de distribution (directe) et de rémunération. Ce qui m’intéresse, c’est de savoir si leur décision va dans le bon sens, à qui elle est profite et accessoirement si elle est nouvelle. La sortie de cet album vient conforter mes articles précédents sur la musique et le numérique.
A l’heure des nouvelles technologies, aller au devant des internautes est judicieux. Mais de nombreuses personnes restent à l’écart (accès web par satellite sans IP fixe, étudiants en résidence universitaire, abonnés bas-débit…). Or acheter le coffret physique demande déjà d’attendre 2 mois de plus que les autres, et de payer une fortune.
Les habitants des grandes villes ayant des abonnements tout-en-un sont favorisés, vous me direz qu’ils constituent une grande partie de leur public mais c’est pas une raison. Le numérique se propage, mais le haut débit n’est pas universel au sens ou peut l’être l’électricité.
Les majors du disque ont déjà gueulé il y a quelques mois lorsque Prince a sorti un album en bonus gratuit d’un quotidien anglais. ET peu avant l’annonce de Radiohead, Trent Reznor (de Nine Inch Nails) a incité à voler les CD trop chers et annoncé qu’ils se passeraient de maison de disque à l’avenir pour vendre à bas prix.
La décision de Radiohead de se passer de maison de disque parait courageuse, mais le risque reste mesuré. Pour l’instant, le nouvel album était attendu de pied ferme dans le monde entier et le volume des ventes, même en ne comptant que 2/3 de payants, est d’ores et déjà gigantesque. La preuve, les serveurs sautent, Alex la Baronne n’a pas encore réussi à télécharger l’album en 3 tentatives. De plus, le prix élevé du coffret (qui sort à temps pour noël) assure de toute façon des rentrées substancielles. N’allez pas croire que je reproche à Radiohead sa façon de procéder, ou de faire de bons bénéfices. C’est un très grand groupe de rock, au public mondial, c’est logique qu’ils en retirent de gros bénefs, ça je m’en fous. Simplement, beaucoup de commentaires sur la sortie de ce disque sont très élogieux sur ce mode de distribution présenté comme courageux et novateur. C’est excessif.
Novateur, c’est beaucoup dire, en vérité, puisqu’ils ne sont pas les premiers à s’émanciper des majors (Prince, ou quantité de petits groupes au public indé fidèle), mais on peut penser que si un mastondonte comme Radiohead a franchi le pas, cela va faire boule de neige. En un sens je le souhaite, mais pas n’importe comment (cf mon article à venir sur internet et le rock indépendant).
Cela fait déjà longtemps que les maisons de disques lancent des éditions spéciales, des présentations alternatives plus luxueuses avec des bonus, et des coffrets. Le modèle d’édition “deluxe” est un moyen ancien de gonfler les bénefs. Ou de les garantir, ici, puisqu’on peut télécharger gratuitement. C’est l’aspect qui peut paraître le plus neuf et audacieux. C’est d’ailleurs le premier sentiment que j’ai eu, et qui m’a poussé à mettre l’annonce immédiatement dans mes news. J’ignorais alors que les morceaux seraient disponible dans une compression mauvaise de 160 kbp.
Pourtant là encore c’est un mode de rémunération tout bête : le chapeau. Dans quantité de lieux, en plein air ou dans des bars ou certaines salles, les artistes (pas forcément musiciens) jouent et passent ensuite parmi vous. On donne ce qu’on veut. On paie après, ou en milieu de spectacle, une fois qu’on a une opinion, contrairement aux disques. Pour certains, a posteriori on se dit qu’on l’aurait acheté même plus cher, tandis que d’autres sont “cher pour ce que c’est”. Beaucoup d’artistes fonctionnent essentiellement au chapeau et s’en sortent (ce sont rarement des milliardaires, mais avec la distribution par internet ça peut changer).
Donc je ne trouve pas si innovant la manière de faire de Radiohead. Leur notoriété limite le risque, mais cette notoriété a le grand avantage de populariser la démarche. Avec un peu de chance, les majors vont avoir la trouille de voir partir d’autres pompes à bénéfices du calibre de Radiohead et vont enfin cesser de lutter contre les avancées technologiques et de pénaliser les auditeurs. S’ils le font (et ils le feront lorsque ça deviendra la meilleure option économique à leurs yeux), on pourra remercier Radiohead et Nine Inch Nails.
Vous me direz : t’es gentil mais, l’album, il vaut quoi?
Pour les avis mitigés et surtout contradictoires, je vous renvoie à systool. Rien d’étonnant à ce que je vous renvoie à un blog plutôt qu’un journal “installé”, puisque comme le remarque intelligemment Ska, avec son mode de publication Radiohead a pris la presse de vitesse et les particuliers supplantent la critique, ce qui n’est pas nécessairement une bonne chose.